« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 7 juillet 2011

La Cour des comptes dénonce l'illusion de la politique sécuritaire


Depuis déjà quelques jours, le rapport de la Cour des comptes sur la politique sécuritaire du gouvernement de 2002 à 2009 suscitait la polémique. Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs lui même suscité l’intérêt des médias en envoyant au Premier président une lettre pour le moins courroucée, lettre immédiatement diffusée sur internet par Atlantico. Il y dénonçait « un nombre important d’inexactitudes, d’oublis et d’appréciations manquant parfois d’objectivité ». En bref, il accusait la Cour des comptes d’entrer en campagne…

Fin du suspense aujourd’hui avec la publication du fameux rapport, dont il convient de prendre connaissance directement, sans attendre les « éléments de langage » qui ne manqueront pas d’être diffusés par les uns ou les autres.

Il s'agit évidemment d'un document essentiel, dans la mesure où les droits des citoyens dépendent largement de l’endroit où on situe le curseur, entre la sécurité et la liberté.

Le rapport de la Cour des comptes n’entre pas directement dans ce débat. D’une certaine manière, il est cependant bien plus accablant, car il montre des choix guidés par une approche idéologique et dépourvus d’instruments d’évaluation sérieux.

Trois points doivent être relevés :

1° - Les statistiques de la délinquance sont longuement évoquées par la Cour des comptes.

On nous disait pourtant que leur fiabilité était parfaitement garantie par l’indépendance de l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale), organisme qui constitue un département de l’Institut national des hautes études de sécurité et de justice (INHESJ), lui même rattaché au Premier ministre.

Le ministre de l’intérieur, alors M. Hortefeux, affirmait en janvier 2011, sans doute sur la base des travaux de l’ONDRP, un recul spectaculaire de 2 % des chiffres de la délinquance en 2010. La Cour des comptes relativise cependant ce constat optimiste. Certes, les chiffres sont justes, mais ils s’expliquent largement par une amélioration considérable des dispositifs de protection contre les vols, aussi bien par les constructeurs automobiles que par les aménageurs des espaces publics et privés (parkings, gares..). En revanche, la Cour observe que, durant cette même période, les atteintes à l’intégrité des personnes ont connu une hausse considérable de 20 % (soit 44 000 faits supplémentaires). Le plus grave dans cette analyse est sans doute de constater qu’il n’existe toujours pas d’indicateurs fiables de la réalité de la délinquance.

2° - La vidéosurveillance est largement étudiée par la Cour, dans la mesure où son développement constitue une priorité gouvernementale. On note, à ce propos, que les rapporteurs refusent de se plier à l’opération de communication qui consiste à préférer la terminologie « vidéoprotection », tellement plus positive pour susciter l’adhésion des citoyens. Rejetant un terme purement cosmétique, ils mettent en évidence une politique tout aussi cosmétique.

Sur le déploiement des dispositifs tout d’abord, la Cour observe que le ministre de l’intérieur a appelé en 2009, à tripler le nombre de caméras surveillant la voie publique, pour passer de 20 000 en 2009, à 60 000 en 2011. L’annonce a le mérite d’être claire, mais la Cour n’est parvenue à dénombrer que 15 000 caméras fin 2010. Celles ci sont d’ailleurs concentrées dans certaines régions (PACA, en particulier).

L’encadrement juridique de ces dispositifs est particulièrement sommaire, reposant presque exclusivement sur l’autorité préfectorale. Celle-ci a tendance à donner toutes les autorisations sollicitées. Le rapport cite plaisamment le cas du village de Baudinard, dans le Haut Var (146 âmes, dont 51 intra muros), désormais équipé de 12 caméras, dont l’une surveille le cimetière … De même, aucune disposition sérieuse définit des exigences précises sur la qualification des personnes habilités à visionner les images, ou organise un contrôle a posteriori sur la conformité de l’usage de ces dispositifs aux autorisations délivrées.

La Cour des comptes dresse le tableau d’une situation dominée par une sorte de « course à la caméra », qui présente un double avantage. D’une part, si elle n’accroit pas la sécurité, elle développe au moins le sentiment de sécurité, démarche qui n’est pas sans intérêt, au moins électoral. D’autre part, elle offre des débouchés rémunérateurs aux entreprises spécialisées du secteur..

3° - Enfin, la Cour des comptes insiste sur la privatisation de la sécurité. Celle ci est la conséquence logique d’un « pilotage » des forces de sécurité qui ne semble répondre à aucun plan à long terme. C’est ainsi que la LOPSI du 29 août 2002 avait permis une augmentation substantielle des effectifs, plus particulièrement en Ile de France. Mais la RGPP, intervenue en 2009, devrait ramener les effectifs de 2011… à ceux de 2002. Ce « retour à la case départ » est aggravé par une réduction des crédits de fonctionnement qui entrave le maintien en condition opérationnelle et oblige les personnels à passer beaucoup de temps dans des tâches administratives.  De fait, la Cour estime que le taux d’occupation de la voie publique ne dépassait pas 5,5 % en 2009.

La conséquence de cette situation est l’accroissement du nombre de policiers municipaux (+ 35 % entre 2002 et 2009). Là encore, les disparités sont grandes, car la moitié de ces agents sont concentrés dans quatre régions (Ile de France, PACA, Rhone Alpes, Languedoc Roussillon). Dans tous les cas, la police municipale, même moins bien formée, est perçue comme une nécessité par des élus locaux qui voient fondre avec inquiétude les effectifs de police et de gendarmerie. Le problème est que toutes les communes n’ont pas les moyens financiers indispensables à une telle politique…

La Cour des comptes constate alors que « cette évolution fait dépendre du choix des élus locaux les conditions de mise en œuvre des politiques de sécurité de l’Etat ». Cette formulation élégante traduit une inquiétude grave vis à vis de l’abandon par l’Etat de ses compétences régaliennes.



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