« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 14 juillet 2011

La jutice des mineurs va-t-elle disparaître ?

Depuis la célèbre ordonnance du 2 février 1945, la justice des mineurs est conçue comme une exception. Il ne s’agit pas tant, comme pour les majeurs, de juger un acte de délinquance, mais bien davantage de s’intéresser à celui qui l’a commis, dans une perspective globale qui cumule sanction et assistance éducative.  De fait, le juge des enfants assure une sorte de continuum éducatif qui va de l’instruction de l’affaire, à la sanction, puis à l’application de la peine. Cette vision globale repose sur l’idée qu’un mineur délinquant est, avant tout, un enfant en danger. 

Même si ce système peut être justifié par des considérations de fait, même si on doit saluer le travail fait par les juges des enfants dotés de moyens dérisoires par rapport à l’ampleur de leur tâche, le problème constitutionnel existe bel et bien.  Le principe d’impartialité des juridictions interdit en effet qu’un magistrat ayant poursuivi ou instruit un dossier puisse ensuite le juger.  

Dans une QPC du 8 juillet, le Conseil constitutionnel, s’appuyant sur le principe d’impartialité, considère donc comme non conforme à la constitution l’article L 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, qui prévoit que le juge des enfants qui procède à l’instruction de l’affaire est également le président de la formation de jugement. 

Le problème est que cette décision constitue l’épisode le plus récent, mais peut être pas l’ultime, d’une jurisprudence triangulaire faisant intervenir la Cour de cassation, la  Cour européenne des droits de l’homme, et le Conseil constitutionnel. 

- La Cour de cassation avait considéré, dès 1993 que cette organisation particulière de la justice des mineurs était conforme à l’article 6 al. 1 de la Convention européenne, qui « ne fait pas obstacle à ce qu’un même magistrat spécialisé dans les affaires des mineurs, prenant en compte l’âge du prévenu et l’intérêt de sa rééducation, puisse intervenir à différents stades de la procédure ».  La Cour a d’ailleurs confirmé sa position en refusant purement et simplement d’intégrer cette question dans sa décision de renvoi de la QPC du 27 avril 2011. En effet, ce renvoi ne porte que sur la présence d’assesseurs non professionnels parmi les membres du tribunal pour enfants, éventuellement susceptible de porter atteinte au caractère équitable du procès. Aux yeux de la Cour, l’article L 251-3,  qui prévoit que le juge qui instruit l'affaire préside également le tribunal pour enfants n’a pas à être déféré au Conseil constitutionnel.

- La jurisprudence de la Cour européenne n’est pourtant plus aussi claire, depuis sa décision Adamkiewicz rendue le 2 mars 2010. Il est vrai que le juge européen reconnaît « le caractère singulier » de la justice des mineurs. Il prend soin néanmoins de préciser qu’il ne lui appartient pas d’apprécier in abstracto la législation d’un Etat, mais seulement de contrôler si son application à un cas d’espèce est conforme à la Convention. Or, dans l’affaire Adamkiewicz, le juge des enfants, en l’espèce polonais, avait pris, comme juge d’instruction, différents actes augurant de la culpabilité du mineur poursuivi. Dès lors, « il peut difficilement être affirmé que ledit magistrat n’avait pas d’idée préconçue sur la question sur laquelle il a été appelé à se prononcer ultérieurement en tant que président de la formation de jugement ». Et la Cour européenne de conclure qu’elle ne voit pas exactement dans quelle mesure cette « double casquette » du juge contribue à promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant.

- Dans la QPC du 8 juillet, le Conseil constitutionnel ne s’attarde pas sur la question des assesseurs non professionnels qui ne lui semble pas en soi inconstitutionnelle.. et il soulève d’office la question de l’impartialité de ce même tribunal.

Le Conseil énonce très clairement que le principe d’impartialité ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants puisse prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation. Toutefois, il considère que l’article L 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, en permettant au juge des enfants qui a « été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal de présider cette juridiction de jugement » porte au principe d’impartialité une atteinte contraire à la Constitution. 

François Truffaut
Les 400 coups
Le Conseil constitutionnel applique ainsi à la justice des mineurs les principes qui gouvernent celle des majeurs. Plus ou moins implicitement, il s’oppose à la thèse du caractère singulier d’une justice davantage tournée vers l’éducation que vers la répression, thèse précisément soutenue par la Cour de cassation. 

On comprend dès lors que cette QPC suscite les inquiétudes des juges des enfants qui y voient  l’instrument d’une lente destruction de la justice des mineurs. Le mineur délinquant n’est-il pas de plus en plus considéré comme délinquant, qui doit être puni comme un majeur ? Ces craintes sont accrues par les dispositions de la loi Mercier qui prévoient la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs de 16 ans. Le juge des enfants devrait donc limiter son activité aux seuls enfants de moins de 16 ans… dispositions dont le Conseil constitutionnel a  précisément été saisi le 7 juillet. 

Doit-on en déduire que le Conseil constitutionnel reprend à son compte cette approche sécuritaire de la justice des mineurs ? Certainement pas, car celle ci dépend du législateur, et le Conseil n’a pas encore statué sur la loi Mercier. Quant à la présente QPC, il prend soin, en considérant les « conséquences excessives » d’une abrogation immédiate de l’article L 251-1 du Code de l’organisation judiciaire, de repousser cette dernière au 1er janvier 2013… c’est à dire après les élections présidentielles. 

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