« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 18 juillet 2011

Les invités de LLC : Gérard-François Dumont : La recherche du "Vivre ensemble"





En droit international, il n’existe pas de définition unanimement acceptée de la notion de minorité nationale. Mais la notion de groupe humain minoritaire est utilisée dans divers documents internationaux, notamment dans la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales (ouverte à la signature depuis 1995). En outre, figure une définition dans la Recommandation 1201, adoptée le 1er février 1993 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, recommandation demandant aux États membres d'adopter un protocole additionnel concernant les droits des minorités à la Charte européenne des droits de l'homme. L'article 1er définit cinq conditions :

« L'expression « minorité nationale » désigne un groupe de personnes dans un État qui :
a. résident sur le territoire de cet État et en sont citoyens ;
b. entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet État ;
c. présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques ;
d. sont suffisamment représentatives, tout en étant moins nombreuses que le reste de la population de cet État ou d'une région de cet État ;
e. sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue. »
    
Considérons donc un pays dont la géodémographie se caractérise par l’existence d’au moins une minorité nationale conforme à cette définition. Il existe plusieurs types d’inclusion.

Ainsi, dans les pays démocratiques, les personnes qui pensent appartenir à un groupe humain minoritaire bénéficient, pour préserver leur spécificité, des libertés existantes et notamment de la liberté associative, qui leur offre un cadre pour enrichir leurs liens et promouvoir leur reconnaissance par la société ou leur place dans la géopolitique interne et faire connaître leurs avis.

Cette inclusion des groupes humains minoritaires par la possibilité pour eux de bénéficier des mêmes libertés que les autres peut être illustrée par l’exemple des rapatriés en France, citoyens français qui ont dû quitter les anciennes colonies françaises au moment de leur accession à l'indépendance ou ultérieurement. Ces rapatriés n’ont jamais souhaité s’y organiser comme un parti politique distinct, mais ont créé nombre d’associations et constitué un réseau cherchant à préserver leurs liens et leur culture historique. 
    
Toujours dans les pays démocratiques, des groupes humains minoritaires peuvent considérer que la défense de leurs intérêts justifie de participer, en tant que tels, aux élections et notamment aux élections législatives. Cette voie est plus ou moins praticable selon le système électoral. Si ce dernier est fondé sur un découpage géographique selon de nombreuses circonscriptions, un groupe humain très présent seulement dans quelques régions du pays, voire une seule, peut obtenir une représentation parlementaire. Dans le cas d’un système de représentation proportionnelle nationale1, un groupe humain dont la localisation est dispersée sur l’ensemble du territoire peut obtenir des représentants au Parlement. 
    
Par la présence de représentants politiques, les groupes humains minoritaires concourent aux décisions nationales et internationales. Dans certains pays, cette représentation directe ou l’existence de tels groupes est institutionnalisée. En vue de reconnaître l’existence d’un groupe humain dans les institutions du pays, plusieurs possibilités existent, en effet, à travers des textes constitutionnels ou réglementaires : représentation politique minimale, organisation d’un corps électoral spécifique, reconnaissance d’une langue minoritaire… Prenons l’exemple de la Slovénie. Sa constitution de la république du 23 décembre 1991 contient l’Article 80 suivant : « Composition et élections : l'Assemblée nationale est composée de députés des citoyens slovènes et compte quatre-vingt-dix députés. Les députés sont élus au suffrage secret, direct, égal et universel. Un député pour chaque communauté nationale italienne et hongroise est toujours élu à l'Assemblée nationale ». La Slovénie dispose donc d’une reconnaissance institutionnelle de deux groupes humains minoritaires en leur accordant au moins un député chacun. 

Dans certains pays, une façon autre ou supplémentaire de reconnaître un groupe humain minoritaire consiste à donner un statut particulier à la langue de ce groupe. Par exemple, à Maurice, la constitution du 12 mars 1992 protège l’emploi de la langue française au sein de l’organe législatif dans un article 49 qui précise : «  La langue officielle de l'Assemblée est l'anglais, mais tout membre peut s'adresser à la présidence en français. » Les locuteurs de langue française sont donc traités comme une minorité qu’il s’agit de reconnaître tout en assurant la primauté d’une langue principale comme langue officielle de communication.
    
Les solutions politiques présentées ci-dessous consistent à donner des libertés aux personnes se sentant appartenir à un groupe humain minoritaire, qu’il s’agisse de la possibilité de bénéficier des mêmes lois que leurs compatriotes ou de libertés propres au groupe dans le souci de préserver la diversité humaine du pays. 

Distinguer « fin » et « objectif »
    
À l’examen de la situation des groupes humains minoritaires selon les pays, il apparaît clairement qu’à chaque fois, c’est essentiellement la conception idéologique du pouvoir politique, selon qu’il adhère ou non à une logique de fin, qui engendre les moyens. En effet, chaque fois qu’un pouvoir se voit tenu de décider d’une attitude vis-à-vis d’un groupe humain minoritaire résidant dans le pays, l’alternative est la suivante. Soit il met en place des modes d’inclusion : il peut fixer des règles permettant aux membres d’un groupe humain minoritaire de bénéficier des mêmes droits individuels, politiques ou associatifs que tous les autres citoyens, ou choisir un mode de reconnaissance juridique spécifique du groupe considéré. Soit il conduit des politiques d’exclusion dont l’éventail va de la négation de la diversité jusqu’à sa destruction violente par un génocide. 
    
À la lumière de ces exemples puisés dans la géopolitique des populations, il apparaît clairement que, dans la formule « La fin justifie-t-elle les moyens ? », le mot essentiel est le mot « fin ». C’est donc sur son sens qu’il faut s’interroger. Or il apparaît clairement une distinction fondamentale. Lorsqu’il y a recherche d’inclusion d’un groupe humain minoritaire dans une société, ce n’est pas une « fin » qui est recherchée, mais un « objectif ». Autrement dit, l’Etat sait que le « vivre ensemble », même s’il appelle par exemple des législations ou des mesures spécifiques, est un effort constant à poursuivre jour après pour. En revanche, les politiques d’exclusion visent non un objectif, mais une fin, donc un terme, une situation où le groupe humain minoritaire devrait se trouver hors d’état d’influence sur la société parce qu’il se trouverait totalement dominé, ses spécificités effacées ou son existence supprimée.

Gérard-François Dumont
Professeur à l'Université de Paris-Sorbonne
    


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