« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 22 juillet 2011

Secret public, secret privé. De Wikileaks aux écoutes anglaises


L'affaire des écoutes téléphoniques britanniques suscite un large écho en France. En cette période estivale, c'est même une aubaine : la fermeture du News of the World, l'arrestation de son ancien rédacteur en chef, le beau Hugh Grant prenant la tête d'une véritable rébellion des stars contre les procédés des tabloïds. Et par dessus tout, cette collusion entre les politiques, la police et le groupe Murdoch, qui finit par toucher le Premier ministre lui-même.

Au delà du scénario digne des meilleures séries télévisées, deux questions peuvent être posées.

La première est évidente : un tel scandale pourrait il se produire dans notre pays ? Poser cette question pourrait sembler superflu, et pourtant la protection de la vie privée est d'une intensité variable selon les pays. En Grande Bretagne, le droit à l'information l'emporte sur la vie privée et le News of the World pouvait, de manière licite, piéger des stars de la chanson en leur proposant d'acheter de la cocaïne, ou des membres de la famille royale acceptant de vendre l'accès à leurs proches...

En France, la technique de la « caméra cachée » est directement visée par l'article 226-1 du Code pénal qui condamne à un an d'emprisonnement et/ou 45 000 € d'amende le fait, « au moyen d'un procédé quelconque », de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui « en captant, enregistrant ou transmettant, sans leur consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ». Le système français repose donc sur le consentement, ce qui rend illicite la captation et la diffusion d'une information obtenue par ruse. La loi du 17 juillet 1970 donne d'ailleurs au juge la possibilité de prescrire séquestres, saisies et tout autre moyen propre à faire cesser une atteinte à la vie privée, y compris en référé. Un journal peut donc être saisi, avant même sa parution, et ses responsables condamnés pénalement, et/ou contraints de payer de lourdes indemnités civiles à la victime.

Cette différence dans le traitement de la vie privée suscite une seconde question, d'ordre plus général, sur l'équilibre les secrets de l'Etat et ceux de l'individu. Sur ce point, les différences entre les systèmes juridiques sont moins sensibles.

Les secrets publics sont de mieux en mieux protégés, et l'affaire Wikileaks a montré que les Etats savaient se défendre contre les divulgations intempestives. Le secret d'Etat a alors été perçu comme une valeur en soi qu'il convenait de protéger. Et pas de pitié pour Julian Assange, considéré comme « l'ennemi public n° 1 » pour avoir violé les secrets de la diplomatie des pays occidentaux ! Ce retour du secret d'Etat n'est pas toujours aussi médiatisé, et bien des textes sont votés discrètement. C'est ainsi que la loi de programmation militaire française élargit l'opposabilité du secret de la défense nationale aux juges en classifiant, non plus des documents, mais des bâtiments entiers, désormais inaccessibles à une perquisition.

A l'inverse, la vie privée des personnes pénètre la sphère publique. « News of the World » offre une image caricaturale de cette évolution, car la publicité faite par les tabloïds vise surtout des personnes célèbres. Mais ne voit on pas aussi les informations de notre vie privée, celle du « simple quidam », stockées dans les fichiers de police ? Les législations antiterroristes, du Patriot Act américain, au Terrrorism Act anglais et jusqu'aux Lopsi 1 et 2 françaises, ont toutes pour point commun d'étendre les possibilités de collecte, de stockage, et d'interconnexions de données nominatives.

Ce recul de la notion de vie privée apparaît même dans nos activités quotidiennes. Car si les informations relatives à notre vie privée sont parfois collectées à notre insu, il nous arrive aussi de faciliter le travail de ceux qui réalisent ces captations.  Nos photos de famille ne sont-elles pas étalées avec complaisance sur Facebook ? Dans ce cas, le narcissisme de la victime rend possible l'atteinte à la vie privée.
Ceux qui s'étonnent ou s'inquiètent de ce déclin de la vie privée sont perçus comme des a-sociaux. On leur répond volontiers que si l'on n'a rien à se reprocher, on n'a forcément rien à cacher. Au secret de l'Etat s'oppose donc la transparence de la vie privée. S'agirait-il d'une nouvelle forme de totalitarisme ?


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