« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 10 septembre 2011

Les polices municipales ont accès au fichier des véhicules volés

Un arrêté du 18 août 2011 autorise les polices municipales à accéder au fichier des véhicules volés (FVV) géré par les ministères de l'intérieur et de la défense. Ce texte est passé pratiquement inaperçu, et il n'est guère mentionné dans la presse et sur internet que pour se féliciter des progrès qu'il apporte dans la lutte contre le vol de véhicules. Il permettra en effet aux policiers municipaux de participer au signalement des véhicules volés, voire de procéder à l'interpellation des voleurs. 

Jusqu'à aujourd'hui, le FVV était utilisé par les services de police et de gendarmerie, mais aussi par les autorités judiciaires, les douanes, les services de police étrangers liés à la France par des accords de coopération, les organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire, et même les compagnies d'assurance ayant passé convention avec le ministère de l'intérieur. On observe d'ailleurs que ces différentes autorités ont su se montrer efficaces, puisque l'ONDRP, grand oracle de la statistique officielle de la délinquance, déclare que les vols de véhicules ont diminué de 5,7 % entre 2009 et 2010 (les statistiques pour 2011 ne sont pas encore publiées).

On nous dit que la décision du ministère de l'intérieur d'ouvrir le fichier aux policiers municipaux repose sur des considérations purement factuelles. Ces personnels sont en effet amenés à contrôler un grand nombre de véhicules quotidiennement puisque, aux termes de l'article L 2212-2 du Code général des collectivités locales, ils sont compétents pour "tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques". 


Bonnie and Clyde. Arthur Penn. 1967. Warren Beatty et Faye Dunaway

On doit cependant observer que les policiers municipaux ne sont pas officiers de police judiciaire (OPJ) ni même agents de police judiciaire (APJ). L'article 21 du code de procédure pénale les classe seulement parmi les agents de police judiciaire adjoints (APJA). Leur compétence judiciaire se limite à rendre compte à leurs chefs hiérarchiques des infractions dont ils peuvent avoir connaissance et à "recueillir les éventuelles observations du contrevenant". Il est vrai que l'arrêté du 18 août ne leur donne accès au FVV que "dans les limites du besoin d'en connaître". Mais en quoi consiste donc ce "besoin d'en connaître", dès lors que le statut d'APJA leur interdit de mener des enquêtes de police judiciaire ? 


On ne peut s'empêcher de penser que l'Exécutif s'efforce, de manière plus ou moins subreptice, de renforcer les compétences des policiers municipaux, alors même que la loi du 15 avril 1999 ne leur accorde que des pouvoirs restreints, essentiellement limités à la police administrative. Cette évolution est évidemment le fruit d'un certain désengagement de l'Etat, qui préfère laisser aux collectivités territoriales la responsabilité de la sécurité locale plutôt que renoncer à réduire les effectifs de police et de gendarmerie. 

L'élargissement constant des compétences attribuées aux policiers municipaux se heurte cependant à une réelle réticence des juges. 

Le Conseil d'Etat avait ainsi annulé le 2 septembre 2009 un premier décret du 22 septembre 2008 autorisant les policiers municipaux à utiliser le pistolet à impulsions électriques (Taser). Il sanctionnait ainsi l'absence de formation à l'utilisation d'une telle arme. Dans un second arrêt du 1er juin 2011, il a finalement validé un second décret sur l'usage du Taser du 26 mai 2011, non sans avoir contrôlé de manière très méticuleuse que ce texte précisait les conditions d'emploi et de contrôle de l'arme, ainsi que l'exigence de formation pour ses utilisateurs. 

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, pose le problème essentiel de ce recours aux policiers municipaux en matière de police judiciaire. Dans sa décision du 10 mars 2011 sur la Loppsi 2, il censure deux articles relatifs aux pouvoirs des policiers municipaux. Le premier conférait la qualité d'agent de police judiciaire à certains policiers municipaux sans qu'ils soient mis à disposition des officiers de police judiciaire. Le second autorisait les agents de police municipale à effectuer des contrôles d'identité. Le Conseil estime alors que ces deux dispositions violent l'article 66 de la Constitution, qui impose que la police judiciaire soit placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire. C'est donc le principe de séparation des pouvoirs qui fonde la décision, le Conseil rappelant qu'une activité de police judiciaire ne saurait être placée sous le contrôle d'une autorité administrative, en l'espèce l'exécutif communal.

Derrière un simple arrêté reposant sur une volonté affichée d'améliorer la lutte contre le vol de véhicules se cache donc un tout autre débat..celui de la garantie de la séparation des pouvoirs.




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