« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 30 juin 2011

Les peines planchers vont-elles s'effondrer ?

La cour de cassation, a transmis le 27 juin au Conseil constitutionnel une QPC portant sur l’article L 530-1-2 du code de procédure pénale. Cette disposition, issue de la loi du 12 juillet 2010, prévoit qu’un contrevenant peut évidemment contester devant le juge une amende forfaitaire majorée. Mais s’il est condamné, la peine infligée ne pourra être inférieure au montant cette amende.  C’est le principe même de la « peine plancher » que l’on trouve en matière de sécurité routière mais qui devient aussi, peu à peu, l’un des instruments essentiels de la lutte contre la récidive.

La QPC interroge le Conseil constitutionnel sur la conformité de cette « peine plancher » au principe d’individualisation de la peine. Ce dernier trouve son origine dans l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement nécessaires », et figure plus clairement  encore dans l’article 132-24 du Code pénal : « La juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».

La jurisprudence constitutionnelle n’est pas, sur ce point, totalement claire. Il est vrai que le juge a déjà admis la constitutionnalité d’une peine automatique, par exemple pour assurer  une « répression effective de l’infraction » (décision DC du 9 août 2007, relative à la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs) ou pour améliorer la prévention et la répression des atteintes à la sécurité routière (décision QPC du 29 septembre 2010).

Dans les deux cas toutefois, le Conseil prend soin de préciser que le juge pénal peut toujours utiliser les dispositions relatives aux dispenses et relevés de peines ou prononcer une peine inférieure au plancher prévue « en raison des circonstances particulières de l’infraction », à la seule condition de motiver ce choix. L’automatisme de la sanction n’exclut donc pas le respect du principe d’individualisation.

La QPC dont est aujourd’hui saisie le Conseil présente l’intérêt de centrer le débat sur l’individualisme de la peine dans le cas des « peines plancher ».

Le Conseil se trouve donc placé devant une alternative détestable.
-      Soit il écarte le principe d’individualisation, au nom de l’intérêt supérieur de la lutte contre la récidive et il admet la constitutionnalité des peines planchers. Dans ce cas, il malmène quelque peu l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme.
-      Soit il fait prévaloir le principe d’individualisation de la peine, remet en cause le principe même des « peines planchers »… et démolit l’un des instruments les plus emblématiques de la lutte contre la récidive… 

mardi 28 juin 2011

Révolution numérique : "Le meilleur reste à venir"...

Créée en avril 2010, la mission d’information de l’Assemblée nationale met en ligne son rapport visant à garantir une meilleure protection des internautes. L’idée générale, pas très originale au demeurant, est qu’internet doit être au service de la personne, garantir sa liberté d’expression et son droit d’accès à la connaissance. Il doit aussi être au service du citoyen en permettant la « e-démocratie » et la « e-administration », l’accès au débat et à l’information publique.

Le rapport insiste également sur la face noire de cette nouvelle communication.  A ses yeux,  le droit à la vie privée est « à réinventer »,  et un droit à l’oubli doit être organisé, notamment pour protéger les usagers des réseaux sociaux. Sur ce point, ce travail rejoint les conclusions de M. Türk, dans son ouvrage sur « la vie privée en péril » dont LLC a récemment rendu compte. Et l’apport du travail parlementaire est d’autant plus modeste que Facebook, sollicité à deux reprises, n’a pas souhaité répondre au questionnaire qui lui avait été envoyé…

Pour garantir l’effectivité de ces droits, le rapport suggère une nouvelle réflexion sur la neutralité de l’internet, et l’égalité entre ses usagers. La fracture numérique est invoquée une nouvelle fois pour montrer la nécessité de réduire les fossés géographiques, générationnels, économiques et culturels dans l’utilisation de cet outil.

Rien que de très banal, somme toute...  On peut, dès lors, s’interroger sur les conséquences  attendues de ce travail. Peut être servira t il de base à une nouvelle réflexion à long terme ? Pour le moment, on observe seulement que ses conclusions sont largement reprises dans « Révolution numérique, le meilleur reste à venir »,  qui liste « 45 propositions » diffusées aujourd’hui à la « Convention numérique » de l’UMP.  Ne s’agirait il pas, aussi, de retrouver la confiance des internautes après les débats agités de la loi Hadopi ?

lundi 27 juin 2011

Nationalité et non discrimination : les limites du discours militant


Deux décisions jurisprudentielles très récentes viennent nous préciser l'étendue du principe de non discrimination, lorsqu'il est invoqué en matière de nationalité.

D'un côté, le Conseil constitutionnel, saisi sur QPC, a rendu le 17 juin une décision admettant la constitutionnalité des dispositions limitant l'accès au revenu de solidarité active (RSA) aux seuls étrangers réfugiés ou apatrides, ainsi qu'à ceux titulaires d'un titre de séjour "autorisant à travailler" depuis au moins cinq ans (art. L 262-4 du code de l'action sociale et des familles).

De l'autre, la Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt rendu quatre jours plus tard, sanctionne la Bulgarie qui a mis en place une exception au principe de gratuité de l’enseignement secondaire. Ce pays voulait ainsi imposer des frais de scolarité aux seuls enfants étrangers non titulaires d'un titre de séjour permanent (CEDH, 21 juin 2011, Anatoliy Ponomaryov et Vitaliy Ponomaryov c. Bulgarie).

Certains commentateurs n'ont pas manqué de dénoncer la jurisprudence constitutionnelle française comme marquant un recul dans la protection des étrangers, louant en revanche la position européenne plus volontariste dans la garantie du principe de non discrimination.

Hélas, ces affirmations très militantes sont réduites à néant par la simple lecture des deux décisions, qui sont loin d’être aussi contradictoires qu’il n’y paraît.

Celle du Conseil constitutionnel se situe dans la ligne de sa jurisprudence précédente. Dès sa décision du 23 janvier 1987 sur une loi portant DMOS, il avait admis qu’une obligation de résidence soit imposée aux étrangers pour pouvoir bénéficier de l’allocation du Fonds national de solidarité. Ce n’est donc pas la qualité d’étranger qui entraine l’exclusion du bénéfice de telle ou telle allocation. C’est la situation effective de l’étranger, qui lui permet, ou non, d’intégrer un programme d’insertion. En l’espèce, le RSA a pour finalité « une incitation à l’exercice ou à la reprise d’une activité professionnelle ». Pour le Conseil constitutionnel, le législateur peut donc établir des critères reposant sur la stabilité de l’installation de l’étranger en France, et donc sa capacité à s’engager dans un programme à moyen terme. Ce n’est donc pas la nationalité qui constitue le critère discriminant, mais la durée du maintien sur le territoire.

Envisageons maintenant la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui nous est présentée comme un exemple d’une politique volontariste de non discrimination à l’égard des étrangers que nos élus devraient méditer. La lecture de la décision Ponomaryiov  témoigne cependant d’un raisonnement beaucoup plus subtil. Le juge européen prend d’ailleurs la précaution de préciser qu’elle se fonde sur les « circonstances particulières de l’espèce » et qu’il n’y a pas, dans le cas bulgare, de discrimination fondée sur la nationalité. En effet, les étrangers titulaires d’un titre de séjour régulier bénéficient de la gratuité de l’enseignement, dans les mêmes conditions que les jeunes bulgares. La discrimination, reconnue en l’espèce par la Cour européenne, n’est pas liée à la nationalité mais à la spécificité du droit à l’éducation. Elle rappelle ainsi que l’enseignement constitue le creuset de l’intégration, et que les autorités publiques ne sauraient porter atteinte à l’égalité devant l’enseignement que dans des conditions très restrictives. C’est la raison pour laquelle la Bulgarie est finalement sanctionnée pour n’avoir pas prévu de possibilité de déroger à cette obligation de payer des frais de scolarité, par des procédures permettant d’évaluer chaque cas particulier.

Dans les deux, la nationalité est donc un élément secondaire de la décision de justice… qu’il est sans doute préférable de lire avant d’écouter ceux qui préfèrent la dénonciation militante à l’analyse juridique. 

dimanche 26 juin 2011

Les lectures de LLC : Alex Türk : "La vie privée en péril"

Le sénateur Alex Türk a publié "La vie privée en péril" au mois d'avril dernier, quelques semaines après qu'un amendement gouvernemental à la loi sur le Défenseur des droits ait posé un principe nouveau d'incompatibilité des fonctions de Président de la CNIL avec tout mandat électif. Le gouvernement n'était pas parvenu, comme il l'aurait souhaité, à diluer cette autorité un peu trop indépendante dans le nouveau Défenseur des droits. Il a néanmoins réussi, par cette incompatibilité, à provoquer le départ de celui qui incarnait cette dépendance depuis 2004.

Dans "La vie privée en péril", Alex Türk ne règle pas ses comptes, et récuse au contraire tout approche polémique. Il s'élève au dessus des problèmes conjoncturels, refuse de regarder en arrière, et se consacre à une analyse prospective. Il dresse un tableau d'une société dans laquelle les moyens de repérage des individus se mutiplient et se connectent les uns aux autres. Des "Smartphones" à la biométrie, en passant par la géolocalisation et la vidéosurveillance, toutes ces techniques concourent à un même objectif, le traçage de la personne, et un lent grignottage de notre vie privée.

Mais le combat pour la vie privée n'est il pas considéré comme un combat d'arrière garde dans une société dans laquelle celui qui n'est pas sur Facebook est désormais considéré comme un handicapé social, voire un délinquant en puissance, version modernisée du vieux principe "Rien-à-cacher-rien-à-se-reprocher" ? Il y a quarante ans, on prônait la transparence de l'Etat et on cherchait à protéger l'intimité des individus. Aujourd'hui, le schéma s'est inversé : on protège les secrets de l'Etat (souvenons nous des réactions des gouvernements aux divulgations de WikiLeaks..), et on détruit la vie privée des individus.

Certains imagineront peut être que le livre d'Alex Türk fait partie des ces œuvres nostalgiques, qui regrettent un âge d'or, celui du papier et de l'encre, l'époque antérieure à la révolution informatique. Il n'en est rien et il suggère au contraire de permettre à chacun de s'approprier ces nouvelles technologies, dans le respect des droits et libertés. Des moyens pédagogiques, techniques et juridiques sont envisagés pour faire des notions de "protection des données" et de "droit à l'oubli" les instruments d'une prise de conscience nouvelle. La CNIL a sur ce point un rôle essentiel, puisqu'elle s'efforce, depuis plus de trente ans, d'organiser un équilibre entre le développement d'une industrie nouvelle et les droits de la personne.

A l'individu passif, consommateur de nouvelles technologies, soumis à des principes posés par Mark Zuckerberg ou Larry Page, le sénateur Türk oppose le citoyen actif et informé, capable d'évaluer les dangers de ces technologies de la communication et de peser sur les conditions de leur développement, en un mot un citoyen doté de son libre arbitre. 

vendredi 24 juin 2011

La maladie mentale face à la "sagesse" du législateur


Le 22 juin, l’Assemblée nationale a définitivement adopté le projet de loi sur les droits des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques.

Au cœur du nouveau texte se trouve la notion de « soins sans consentement », qui se substitue à celle d’ « hospitalisation ». Il ne s’agit pas seulement d’une modification terminologique, car elle implique deux effets directs. D’une part, le dispositif des soins « dispensés à la demande d’un tiers » se trouve simplifié, afin de conférer aux familles un rôle plus grand. D’autre part, la loi tient compte des progrès psychiatriques et thérapeutiques, et il est désormais possible d’assurer une prise en charge sans le consentement du patient, mais aussi sans hospitalisation.

Mais les bons sentiments ne font pas nécessairement les bons textes, et les critiques qui se sont élevées développaient des arguments particulièrement forts.

Arguments de fait tout d’abord, car le projet repose sur une confiance absolue dans les médicaments, dans la certitude qu’ils empêcheront un passage à l’acte qui peut quelquefois avoir des conséquences dramatiques. Certes… l’optimisme est une belle chose. Mais qui a oublié l’histoire tragique de ce jeune schizophrène qui a poussé un voyage sous le RER en avril 2010 ? La mère de ce malade avait alerté à plusieurs reprises les services compétents, demandé vainement l’internement de son fils dont elle voyait l’état se dégrader, et n’avait finalement obtenu qu’un traitement médicamenteux en « hôpital de jour »…

Arguments de droit ensuite, formulés par le Conseil constitutionnel  qui s’est immiscé dans le débat. Dans deux décisions, l’une du 26 novembre 2010, et l’autre, très récente, du 9 juin dernier, il a censuré, sur QPC, trois articles du Code de la santé publique, un portant sur l’ « hospitalisation à la demande d’un tiers », les deux autres sur « l’hospitalisation d’office », c’est à dire décidée par l’autorité administrative pour protéger le patient et/ou l’ordre public. Dans les deux  cas, ces procédures sont annulées pour violation de l’article 66 de la Constitution, car la privation de liberté pouvait être prolongée au delà de quinze jours sans intervention du juge judiciaire, par simple décision administrative. Et le Conseil a pris soin, dans sa seconde décision, de fixer au législateur la date limite du 1er août 2011 pour modifier les dispositions entachées d’inconstitutionnalité.

Magritte
Personnage méditant sur la folie
Dans l’urgence, le Sénat a donc adopté, en seconde lecture, des amendements apportant des modifications substantielles aux conditions de l’hospitalisation sous contrainte, et répondant cette fois aux exigences de la séparation des pouvoirs. Il prévoit désormais l’intervention du Juge des Libertés et de la détention, notamment lorsque les certificats médicaux établis par deux psychiatres dans les 24 heures suivant l’admission divergent sur la mesure à prendre, ou lorsque les médecins sont en désaccord avec l’autorité préfectorale. D’une façon générale, le JLD doit intervenir pour toute hospitalisation sous contrainte, dès lors que sa durée excède quinze jours, puis six mois.

Ces amendements de dernière minute ont évidemment sauvé l’essentiel. Mais il n’en demeure pas moins que les recours offerts aux patients psychiatriques se caractérisent par une remarquable complexité. Conformément à la « conception française de la séparation des pouvoirs », la décision administrative de dispenser des soins « sans consentement » doit être déférée au juge administratif. En revanche, le contrôle de la nécessité de la mesure incombe au juge judiciaire, le JLD en premier ressort, solution d’ailleurs récemment confirmée par la Cour de cassation (Civ. 1ère, 8 avril 2011).

Cette complexité suscite déjà les réserves de la Cour européenne. Dans une décision Baudoin du 18 novembre 2010,  elle estime en effet qu’une personne hospitalisée d'office, qui obtient l'annulation de la décision d’internement sans obtenir du juge judiciaire qu'il permette sa libération, ne peut être considérée comme ayant bénéficié d'un « droit au recours effectif ». La loi qui vient d’être votée peut, sur ce point, être analysée comme une occasion manquée puisqu’elle ne modifie en rien cette situation.

Pour le moment, tout juriste doit s’interroger sur le lien de causalité : si les troubles psychiatriques suscitent la recherche du juge compétent… cette recherche du juge n’est elle pas elle même constitutive de troubles psychiatriques ?  

mercredi 22 juin 2011

La garde à vue de nouveau menacée

La Commission européenne vient de rendre public un projet de directive « relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et au droit de communiquer après l’arrestation ». Sur la base d’une résolution du Conseil du 30 novembre 2009, il s’agit de fixer « des normes minimales communes » concernant les droits des personnes soupçonnées ou poursuivies.

Comme bien souvent en matière de libertés publiques, l’Union européenne reprend les principes posés par la Cour européenne des droits de l’homme.  Le projet laisse donc une impression de « déjà vu », même si on peut se réjouir qu’il impose un « standard européen » dans ce domaine. 

Se pose cependant la question de la conformité à la future directive du tout nouveau droit français de la garde à vue, issu de la loi du 14 avril 2011.  Le nouvel article 63-4 al. 3 du code de procédure pénale prévoit en effet la présence d’un « avocat taisant » pendant les auditions. C’est seulement à leur issue, qu’il peut, le cas échéant, poser des questions ou faire des observations écrites.  

Le projet de directive, en revanche, accorde un rôle actif à l’avocat : "Il a le droit de poser des questions de demander des éclaircissements et de faire des déclarations, qui seront enregistrées conformément aux règles du droit national" (art. 4). Une telle disposition constituera un argument de poids à l'appui des recours qui ne manqueront pas d'être déposés pour contester le principe français de l'"avocat taisant".

A peine votée, la loi se trouve déjà menacée...
A suivre

lundi 20 juin 2011

Feuilleton des QPC : La liberté d'association, 40 ans après.

Tout étudiant en droit, même recalé à sa licence, sait que le contrôle de constitutionnalité s’est développé en France à partir de la « Grande Décision » du 16 juillet 1971. Depuis cette date, on considère généralement que cette intervention musclée du Conseil constitutionnel a eu pour effet de sacraliser la liberté d’association. Comment l’Exécutif oserait il désormais lui porter atteinte après avoir été si rudement échaudé ? Et c’est vrai que la liberté d’association, désormais érigée au rang de « Principe fondamental reconnu par les lois de la République » n’a plus jamais été sérieusement mise en cause.


Une récente QPC , datée du 16 juin, vient montrer cependant que la liberté d’association n’est plus un sujet tabou, même si le juge constitutionnel ne remet pas en question la liberté de création d’une association, sous la seule condition du dépôt d’une déclaration préalable.

La question posée par la QPC est plus étroite. Elle ne concerne que les associations actives en matière d’urbanisme, et encore plus précisément leur droit de recours. L’article 600-1-1 du Code de l’Urbanisme (issu de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement) les autorise en effet à contester les décisions individuelles relatives à l’occupation ou à l’utilisation des sols. Leur recours n’est cependant recevable que si les statuts de l’association ont été déposés avant l’affichage en mairie de l’opération d’urbanisme contestée. C’est précisément l’objet de la question prioritaire de constitutionnalité, l’association requérante « Vivraviry » voyant dans cette restriction une atteinte à la liberté d’association.

Le Conseil constitutionnel ne lui donne pas satisfaction, et il convient d’observer que les motifs de sa décision ne sont pas d’une absolue clarté. D’une part, Il observe que l’impact de cette restriction est très réduit, dès lors qu’elle ne concerne que les associations «  de circonstance » créées postérieurement à l’opération contestée. Chaque personne intéressée conserve son droit de recours individuel, de même que les associations antérieures à l’opération. D’autre part, le juge mentionne, sans toutefois reprendre totalement l’argument à son compte, que le législateur « a entendu limiter le risque d’insécurité juridique ». Dans quelle mesure la procédure engagée par une association nouvelle serait elle porteuse d’une plus grande insécurité juridique que celle d’une personne seule ou d’une association ancienne ayant pignon sur rue ?

Cette motivation quelque peu incertaine nous conduit à nous interroger sur l’existence éventuelle d’un autre motif latent, non mentionné dans la décision. Car un recours déposé par une association de circonstance dans le but de contester un projet d’urbanisme déjà publié pourrait constituer une sorte de substitut d’une « Class Action » que les mouvements associatifs appellent de leurs voeux.   

De toute évidence, le Conseil constitutionnel ne souhaite pas que cette « Class Action » pénètre dans le droit français de manière subreptice, par la petite porte du droit de l’urbanisme, et par une QPC qui ne saurait se substituer au débat législatif

dimanche 19 juin 2011

DSK ou l'ombre du Lynch

Il y a quelques mois, le modèle américain de procédure pénale nous était présenté comme un incontestable progrès. Après l’affaire d’Outreau, des critiques vigoureuses avaient accablé la procédure « inquisitoire » française , reposant sur un juge d’instruction, qui instruit à charge et à décharge, cherchant les éléments de preuve de nature à prouver la culpabilité, mais aussi, et surtout,  l’innocence de l’accusé. Un ambitieux projet de loi avait alors tenté d’introduire dans le droit français la procédure « accusatoire » anglo-saxonne : d’un côté, un procureur qui accuse au nom de la société et instruit à charge, de l’autre un avocat qui défend son client, procédure bien connue des amateurs de séries américaines.  Les avocats ne voyaient que des avantages à une réforme qui accroissait considérablement leur rôle judiciaire.  Les magistrats, en revanche,  s’étaient  vigoureusement opposés à ce texte, estimant qu’il mettait en cause une procédure pénale très protectrice des droits de la personne. De fait, l’ambitieuse réforme a été abandonnée en catimini.

Aujourd’hui, ce qu’il faut bien désormais appeler « l’affaire DSK » confère une actualité nouvelle à cette question. Au delà des débats théoriques, elle nous offre l’opportunité de réfléchir à partir d’un cas particulier, sorte de cas d’école qui se déroule devant les caméras du monde entier. Car  la justice new yorkaise a tenu à montrer qu’elle traitait le Président du FMI comme un justiciable « comme les autres ». Cet égalitarisme a évidemment rencontré un écho favorable dans notre pays, et certains ont immédiatement salué la supériorité d’un système pénal qui n’hésite pas à emprisonner les puissants pour assurer la protection de la plus humble des victimes.

Certes, mais cet affichage médiatique ne saurait tenir lieu d’analyse juridique. L’ « affaire DSK », qu’il n’est évidemment pas question d’envisager sur le fond, met en lumière les différences entre deux systèmes qui, contrairement à une idée reçue, ne reposent pas sur des principes identiques. Les valeurs européennes reposent aujourd’hui sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Sur cette base, la fonction unificatrice de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme conduit à la création d’un véritable standard européen de protection des droits de la personne arrêtée ou détenue.

La présomption d’innocence, tout d’abord, figure tout entière dans l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ». Il appartient donc à l’accusation de prouver la culpabilité de la personne mise en cause, et non pas à cette dernière de prouver son innocence. Certes, mais on a vu la justice new yorkaise mettre DSK en garde à vue (« custody ») et lui signifier les charges retenues contre lui (« arraignement »), alors que ses avocats étaient présents, mais réduits à l’impuissance puisqu’ils ne disposaient pas encore des pièces du dossier. Le jury populaire chargé de confirmer la mise en accusation est, quant à lui, réuni en l’absence de l’accusé. Celui ci est donc présumé coupable, et il lui appartiendra, dans la seconde phase de l’instruction, et avec le secours de ses avocats, de prouver son innocence… 


La présomption d’innocence, en droit américain, n’est donc pas un principe fondamental, tout au plus une règle de procédure qui ne trouvera à s’appliquer qu’après la mise en examen. On observe d’ailleurs qu’elle disparaît purement et simplement lorsqu’est invoqué le droit à l’information. Sur le fondement du Premier Amendement, on peut publier les photographies de DSK menotté et faire pénétrer les caméras dans le prétoire.  Dans notre pays, la loi Guigou du 15 juin 2000 n’autorise pas de telles pratiques, et un délit d’ « atteinte à la présomption d’innocence » permet de sanctionner ceux qui présentent comme coupable une personne qui n’a pas encore été jugée. Un ministre de l’intérieur en exercice en a même fait les frais en décembre 2010, condamné pour avoir affirmé la culpabilité d’un membre du cabinet du Garde des Sceaux, alors soupçonné d’avoir diffusé des informations confidentielles au journal Le Monde dans l’affaire Woerth Bettencourt. Le droit britannique, pourtant attaché à la procédure accusatoire, est actuellement en train d’intégrer des dispositions comparables, sous l’influence évidente de la Cour européenne. Le droit à l’information est il pour autant bafoué lorsque l’on s’interdit de filmer un être humain menotté ? Le citoyen n’est-il pas aussi bien informé lorsqu’on lui épargne des pratiques qui s’apparentent plus au pilori ou à la loi du Lynch qu’au légitime compte rendu d’une affaire judiciaire en cours ?

C’est ainsi le principe européen de l’égalité des armes qui se trouve ignoré. Trouvant son fondement dans la Convention européenne des droits de l’homme, il impose une procédure dans laquelle l’accusation et la défense sont placées dans une situation de stricte égalité. C’est sur lui que la Cour européenne s’est appuyée pour condamner la pratique française de la garde à vue, provoquant la décision de la Cour de cassation du 15 avril 2011 qui a imposé la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue et durant les interrogatoires. Bien sur, l’accusé américain a également droit à l’assistance d’un conseil dans la même situation, mais il ne s’agit que d’une garantie procédurale d’origine purement jurisprudentielle (« Miranda Rights »). Elle ne constitue pas un principe général et n’impose pas l’accès à l’intégralité du dossier. Au surplus, le fait de priver l’accusé de tout droit sur son image, alors que la victime bénéficie d’une protection active de sa vie privée introduit une véritable rupture de l’égalité des armes. En effet les avocats de la défense auront, à terme, la lourde charge de convaincre un jury populaire de l’innocence d’un accusé présenté comme coupable dès le début de la procédure.

Ces pratiques nuisent surtout à l’indispensable sérénité de la justice. Est elle assurée lorsque les médias se déchainent contre un accusé ? Et son impartialité est-elle assurée dans un système judiciaire où le procureur qui engage les poursuites est élu, et qu’une affaire qui lui offre l’opportunité de montrer sa sévérité à l’égard des puissants de ce monde peut offrir aussi un excellent argument électoral.

Nul ne conteste évidemment la nécessité de protéger la dignité de la victime, mais pourquoi cette préoccupation ne s’étend elle pas à l’accusé ? Au moment de son arrestation, et de sa mise en examen, il est juridiquement innocent. N’est il donc pas également titulaire, comme tout être humain, du droit à la dignité de la personne ?  On sait que la Convention européenne des droits de l’homme interdit les « peines ou traitement inhumains ou dégradants », et la Cour européenne n’hésite pas à sanctionner une violence, même bénigne, intervenue pendant une garde à vue, dès lors que la personne se trouve en état d’infériorité et incapable de se défendre. Cette jurisprudence ne se réduit d’ailleurs pas aux violences physiques, mais s’étend aussi aux violences psychologiques, voire à l’humiliation ou à l’avilissement, notamment par un discrédit social.

On le constate, les standards européens sont nettement plus exigeants que les garanties du droit américain qui veut nous donner, dans l’affaire DSK, l’image d’un égalitarisme de façade. Certes, il est fort louable de montrer à la face du monde que la parole de la victime doit être entendue, quel que soit son statut social. Mais est il pour autant indispensable de jeter l’accusé en pâture à l’opinion, au moment précis où il ne bénéficie pas encore des droits de la défense ?

Roseline Letteron
Professeur de droit public à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV)
 Article paru le 3 juin 2011 dans "Le Monde.fr"

samedi 18 juin 2011

Rapport du Contrôleur européen de la protection des données

Alors que le Président de la CNIL, Alex Türk, publie un ouvrage très remarqué, "La vie privée en péril, des citoyens sous contrôle (editions Odile Jacob), le Contrôleur européen rend public un rapport 2010 qui révèle une inquiétude semblable. Il rappelle ainsi que la visiosurveillance, qu'il est actuellement de bon ton d'appeler "vidéoprotection" ne doit pas trouver sa justification dans le seul désir de sécurité, mais également dans la nécessaire protection de la vie privée et des droits de l'individu.

La directive sur la conservation des données ne suscite pas davantage l'enthousiasme du Contrôleur européen. On sait que ce texte contraint les fournisseurs à conserver les données relatives au trafic, à la localisation et aux abonnés, qui peuvent être utiles dans la recherche des auteurs d'infractions. Même s'il ne conteste pas cette finalité, le rapporteur demande à la Commission de prouver la nécessité de ce texte, c'est à dire de démontrer, très concrètement, qu'il n'était pas possible de parvenir au même but par d'autres moyens. On attend avec intérêt les justifications qui seront apportées.