« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 4 avril 2012

A travail égal, salaire égal : La Chambre Sociale résiste à la RGPP

Le 16 février 2012, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu une décision relative aux différences de rémunération entre les agents de droit public et ceux de droit privé. Des employés d'une entreprise d'intérimaires exerçaient les fonctions de bagagistes à l'aéroport de Perpignan-Rivesaltes, avec des contrats de travail temporaire. Ils ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir de la Chambre de commerce et d'industrie gestionnaire de l'aéroport une majoration des salaires et une prime de vacances. L'argument essentiel de leur recours reposait sur la rupture d'égalité, car d'autres bagagistes étaient employés sur la base de contrats de droit public à durée indéterminée. Ils bénéficiaient donc d'un traitement plus élevé et d'une prime de vacances. 

La jurisprudence traditionnelle, bénédiction de la RGPP

La jurisprudence traditionnelle considère que l'égalité de traitement ne s'applique qu'aux salariés placés dans une situation juridique identique. La Chambre sociale, dans une décision du 11 octobre 2005, considérait ainsi que les agents de droit privé bénéficient de négociations salariales annuelles dans le cadre d'une convention collective. Leur situation est donc différente de celle des fonctionnaires qui sont placés dans une situation statutaire. La Cour de cassation avait alors admis que les postiers fonctionnaires bénéficient d'un complément de salaire auquel les postiers titulaires d'un contrat de droit privé ne pouvaient prétendre. 

Une telle jurisprudence était une bénédiction pour les pouvoirs publics, car elle autorisait des coupes sombres dans les budgets des services publics. Le principe même de la RGPP ne conduit-il pas à supprimer des postes de fonctionnaires, voire d'agents publics, pour les remplacer des agents de droit privé, souvent intérimaires ou employés par des entreprises sous-traitantes ? L'idée globale est donc d'organiser la précarité, d'une part parce que ces salariés coûtent moins cher, d'autre part parce que la précarité de leur situation décourage toute revendication salariale. 
Marc Chagall. Le conciliabule des fonctionnaires. Eau-forte. 1923

Evolution vers un principe d'égalité 

Hélas, la Chambre Sociale fait de la résistance, et la décision du 16 février 2012 marque l'aboutissement d'un processus engagé dès une décision du 15 mai 2007. La Chambre sociale avait alors affirmé qu'"une différence de statut juridique entre des salariés effectuant un travail de même valeur au service du même employeur ne suffit pas à caractériser une différence de situation au regard de l'égalité de traitement en matière de rémunération". Sur cette base, la Cour de cassation était revenue sur sa jurisprudence relative au complément de salaire des postiers, dans une décision d'assemblée plénière du 27 février 2009. Elle avait alors considéré que le complément de traitement, dont les critères sont appréciés par rapport au poste occupé, devait respecter le principe d'égalité entre ses bénéficiaires, quelle que soit la nature de leur contrat.

Aujourd'hui, la décision de février 2012 va encore plus loin. Elle fait peser sur l'employeur l'obligation de démontrer que les employés de droit privé sont dans une situation juridique qui exclut la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement. Autrement dit, la seule invocation d'une différence de statut ne suffit pas à justifier la différence de régime juridique, et donc de rémunération. En l'espèce, la Chambre sociale confirme donc une décision de la Cour d'appel qui sanctionne pour violation de l'égalité de traitement la situation qui était faite aux bagagistes de l'aéroport de Perpignan. L'employeur n'avait pas été en mesure, en effet, de démontrer que cette rupture d'égalité trouvait son origine juridique dans une norme de droit public et non pas dans le seul contrat de travail. 

La différence de rémunération peut être la conséquence d'une différence statutaire, mais elle ne peut plus désormais en être la cause. Le  recrutement d'agents de droit privé n'est plus l'instrument privilégié des collectivités publiques qui désirent substituer des emplois précaires à des postes de fonctionnaires ou d'agents de droit public. Elles vont devoir démontrer que ces différences salariales reposent sur autre chose qu'une volonté de détruire lentement la fonction publique. Autant dire que la jurisprudence de la Chambre sociale constitue une menace directe pour la politique actuelle. 



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