« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 31 mai 2012

La mission Lescure et l'avenir d'Hadopi

Le 22 mai 2012, a été annoncée la nomination de Pierre Lescure, l'ancien Président de Canal +, à la présidence d'une mission de concertation sur l'avenir de la loi Hadopi du 12 juin 2009. Les médias ont largement repris l'information. Certains ont insisté sur l'intervention du ministre de la culture, Aurélie Filipetti, qui tient manifestement à gérer ce dossier, écartant de facto la nouvelle ministre de PME et de l'économie numérique, Fleur Pellerin. D'autres ont mis en évidence la personnalité de Pierre Lescure, proche des industriels du secteur. 

L'espace des lobbys

Il est plus difficile de s'interroger sur les éventuelles modifications de la loi Hadopi, susceptibles d'intervenir dans les mois à venir. Les promesses de campagne du Président François Hollande sont restées imprécises sur ce point. Sans doute parce que la gauche est partagée entre les "libertaires" qui souhaitent l'abrogation du texte assortie d'une licence globale taxant les fournisseurs d'accès (FAI), et les acteurs culturels qui veulent, avant tout, la protection des droits des auteurs et créateurs.  

Pour le moment, on peut au moins envisager quelques évolutions possibles, sachant que le premier rapport de l'autorité indépendante instituée par la loi Hadopi se présente, avant tout, comme un instrument de communication destiné à montrer l'efficacité du texte. 

La liberté d'accéder à internet

La disposition la plus discutée de la loi Hadopi est évidemment celle qui permet la suspension de l'accès à l'internet de l'abonné coupable de téléchargements illégaux. Cette mesure est l'ultime sanction après plusieurs avertissements de l'internaute par l'autorité indépendante Hadopi, et s'inscrit dons dans une stratégie connue sous le nom de "riposte graduée".  

Le Conseil constitutionnel a imposé l'intervention du juge judiciaire pour prononcer une telle sanction, dans sa décision du 10 juin 2009, imposant une modification de la loi en octobre 2009. Il estime en effet, "qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et à l'expression des idées et des opinions", le droit à la libre communication des pensées et des opinions garanti par l'article 11 de la Déclaration de 1789 implique "la liberté d'accéder à internet".   

Méchant pirate victime de la riposte graduée. Walt Disney. Peter Pan. 1953.


Riposte graduée et neutralité du net

Cette "riposte graduée" susceptible d'aboutir à une suspension de l'accès à internet est, par ailleurs, incompatible avec le principe de neutralité du net. D'abord formulé aux Etats Unis, il vise à affirmer l'égalité de traitement des flux de données, excluant toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou de contenu de l'information transmise sur le réseau. Le principe de neutralité interdit donc les restrictions d'accès à internet. Sans avoir stricto sensu, une quelconque valeur juridique en droit français, le principe de neutralité est repris par plusieurs organisations internationales, et notamment l'OSCE

Tous ces éléments concourent à fragiliser cette sanction considérée comme injustement sévère, d'autant qu'elle touche souvent, non pas l'internaute indélicat, mais l'ensemble de son entourage. Là encore, la sanction pèse de manière très différente selon les familles, celles qui ne disposent que d'un seul accès se trouvant plus lourdement pénalisées. La suspension de l'abonnement pourrait donc disparaître de la gamme de sanctions possibles contre les internautes, ce qui ne signifie pas l'abandon de toute répression contre les téléchargements illégaux.

D'autres évolutions, plus conjoncturelles, pourraient intervenir, en particulier dans la composition de l'autorité indépendante. Nul n'ignore que la Présidente d'Hadopi et ses principaux collaborateurs ont dressé un bilan particulièrement optimiste, pour ne pas dire gonflé, des résultats obtenus depuis la création de cette institution. Et ces statistiques ont été largement utilisées lors de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. La question est alors posée de la pérennité d'une autorité pas très indépendante.

Pour le moment, rien ne permet de penser que la loi Hadopi sera abrogée. Il est probable, en revanche, qu'elle sera modifiée pour mettre en place une nouvelle forme de "riposte graduée". C'est précisément le rôle de la mission Lescure de trouver un consensus. Ce n'est certainement pas chose facile dans un secteur dominé par de puissants lobbies. 



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