« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 24 mai 2012

Le tribunal correctionnel des mineurs va disparaître

Certains feignent de s'étonner de l'annonce par le Garde des sceaux de la suppression du tribunal correctionnel des mineurs (TCM) créé par la loi du 10 août 1011, entrée en vigueur début 2012. BFM annonce que "Taubira crée la polémique" et Rachida Dati critique une réforme "irresponsable". A dire vrai, c'est plutôt cette surprise qui est surprenante. Tout le monde comprend que l'UMP considère madame Taubira comme "le maillon faible". Quoi qu'elle dise, c'est vers elle qu'il faut donc diriger les attaques. Feindre l'étonnement à l'égard de la suppression des TCM relève du jeu de rôle électoral, auquel personne ne croit, pas même les acteurs.

La suppression de ces TCM, il y en a un dans le ressort de chaque cour d'appel, est l'une des promesses de campagne de François Hollande. Les juges des enfants l'attendaient même avec impatience. A leurs yeux, cette mesure est le premier volet, le signe avant-coureur de la reconstruction de la justice des mineurs (voir, dans ce sens, l'excellent article de J. P. Rozenczveig, sur son blog, ainsi que celui de Christine Bartolomei, publié en mai 2012).

Rappelons que les TCM sont composés de trois juges, un juge des enfants qui en assure la présidence et deux magistrats assesseurs. Ils ont pour mission de juger les mineurs de plus de seize ans qui risquent une peine égale ou supérieure à trois années d'emprisonnement, et qui sont dans une situation de récidive légale. Autant dire qu'ils ne concernent qu'une infime partie de la justice des mineurs, environ 300 cas par ans sur 150 000 dossiers. Sur ce plan, leur suppression passera donc inaperçu. 

Alors pourquoi tant de bruit ? Parce que ces TCM constituent l'élément le plus visible d'une réforme de la justice des enfants, engagée durant le précédent quinquennat et qui a suscité une opposition sans précédent. Pour le Président Sarkozy, un mineur délinquant est d'abord un délinquant, et il doit être jugé dans les mêmes conditions qu'un majeur. 

Leçon de calcul à de jeunes détenus. Maison Centrale de Melun. 1930
Photo d'Henri Manuel


Obstacles à la suppression de la justice des mineurs

Le problème est que ce n'est pas possible. La Convention de New York sur les droits des enfants de 1989, évidemment ratifiée par la France, énonce dans son article 40 que "les Etats parties s'efforcent de promouvoir l'adoption de lois, de procédures, la mise en place d'autorités et d'institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d'infraction à la loi pénale ". Certes, il ne s'agit pas d'une obligation absolue, puisque les Etats se bornent à "s'efforcer" de mettre en place une justice pénale spécifique pour les mineurs. 

En revanche, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 août 2002, empêche, cette fois très clairement, la suppression de la justice des mineurs. Il consacre comme principes fondamentaux reconnus par les lois de la République d'une part "l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge" et d'autre part "la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées". Autant dire qu'il constitutionnalise la justice des enfants.

Le processus d'asphyxie

Pour contourner ces difficultés, il a été décidé de réduire l'espace de la justice des mineurs, dans un lent processus d'asphyxie. Il s'est engagé avec la loi Perben du 9 septembre 2002 qui abaisse l'âge minimum de la garde à vue (de 13 à 10 ans) et de la détention provisoire (de 16 à 13 ans). La loi du 10 août 2007 réduit les sanctions éducatives, systématise la comparution immédiate, supprime l'excuse de minorité et généralise les peines planchers aux mineurs de 16 à 18 ans récidivistes. La loi du 10 août 2011, et la création des TCM n'est donc que la dernière étape d'un processus dont l'objet final est l'alignement de la justice des mineurs sur celle des majeurs, et la disparition de sa spécificité. 


Pour les juges des enfants, un mineur délinquant est d'abord un enfant, et il doit être jugé en tenant compte de sa situation globale, de son encadrement familial, de son parcours scolaire. La punition n'est pas dissociable de l'éducation. Cette démarche globale est sans rapport avec l'éventuelle fermeté de la peine finalement prononcée. 

L'annonce du Garde des Sceaux était donc très attendue, comme une sorte de réhabilitation de la justice des mineurs. Il demeure cependant difficile de revenir tout simplement au statu quo ante. En effet, dans une décision rendue sur QPC le 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel a considéré comme inconstitutionnel l'article L 251-1 du code de l'organisation judiciaire, qui prévoit que le juge des enfants qui procède à l'instruction est également le président de la formation de jugement. Une réflexion globale sur la justice des mineurs s'impose donc, avec cette fois pour fondement essentiel l'intérêt supérieur de l'enfant.

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Juste une rectification pour votre article : il y a bien 1 TCM par TGI et non par cour d'appel comme vous l'écrivez.

    par ailleurs, la création des TCM n'avait rien à voir avec le pb que vous évoquez en fin d'article de l'impossibilité pour un Juge pour enfant d'instruire et de juger au fond. Cette difficulté sera quoiqu'il en soit facilement résolue dans les TGI où se trouvent plusieurs juges pour enfants ; ce sera en revanche plus compliqué dans ceux où il y a un juge pour enfant unique (mais le cas est de plus en plus rare suite à la réforme de la carte judiciaire ; de fait, je ne sais pas s'il en existe encore).

    Enfin, juste pour exemple : dans mon TGI (2 cabinets de juge pour enfant), le TCM n'a pas eu à fonctionner une seule fois depuis son entrée en vigueur.

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