« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 27 septembre 2012

OGM, pouvoir de police et principe de précaution

Les résultats pour le moins inquiétants d'une étude menée par l'équipe du Professeur Séralini relancent le débat scientifique sur les OGM, et contribuent ainsi à occulter le débat juridique.  Un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 24 septembre 2012 vient pourtant le relancer.

Dans l'affaire soumise au Conseil d'Etat, le maire de Valence, se fondant sur le principe de précaution, a pris un arrêté, durant l'été 2008, interdisant pour une durée de trois ans la culture des OGM sur le territoire de la commune. Le Tribunal administratif de Grenoble, puis la Cour administrative de Lyon, saisis par le préfet du département en déféré, ont considéré cet arrêté illégal, solution confirmée par le Conseil d'Etat. En se fondant sur le principe de précaution, le maire est sorti du cadre de son pouvoir de police générale, et sa décision est donc entachée d'incompétence.

Une police spéciale

La loi du 13 juillet 1992 organise un régime d'autorisation préalable à la culture des OGM, notamment lorsqu'elle a lieu en plein air et emporte un risque de dissémination d'organismes génétiquement modifiés. Dans ce cas, les risques sont appréciés par le Haut conseil des biotechnologies, et l'autorisation est, éventuellement, accordée par le ministre de l'agriculture, après avis du ministre de l'environnement. Pour le Conseil d'Etat, ce régime juridique est donc celui d'une police spéciale, mise en oeuvre par l'Etat. Les élus locaux sont seulement invités à organiser des réunions d'information, dans l'hypothèse où l'on envisage d'accorder l'autorisation de cultiver des OGM sur leur commune. Ils ne sont donc pas compétents pour interdire purement et simplement cette culture.

La position du Conseil d'Etat peut sembler parfaitement logique, et on comprend qu'il s'agit d'empêcher la prolifération d'initiatives locales, qui entraveraient l'exercice de la police spéciale prévue par la loi. Il n'empêche que, sur le plan strictement juridique, la police générale du maire n'est pas incompatible avec un régime de police spéciale. L'exemple le plus connu est celui de la police du cinéma. L'octroi d'un visa d'exploitation au plan national n'empêche par le maire de prendre une décision de police générale interdisant un film sur le territoire de sa commune, lorsque cette diffusion risque de susciter des troubles à l'ordre public ou lorsque des "circonstances locales" le justifient. Dans ce cas cependant, c'est la notion d'ordre public qui est mise en avant, et non pas le principe de précaution. 

Vincent Van Gogh. Champ de blé derrière l'hospice. 1889


La méfiance des juges à l'égard du principe de précaution

Pour mettre sa commune à l'abri des OGM, le maire de Valence aurait sans doute dû se placer résolument sur le fondement de l'ordre public, et invoquer, par exemple, un risque de troubles causés par des militants écologistes "faucheurs" d'OGM. Pour le juge administratif, en invoquant le principe de précaution, le maire du Valence sort du cadre de son pouvoir de police générale. Sur ce point, la décision du Conseil d'Etat illustre la méfiance des juridictions à l'égard de ce principe de précaution, qui ne constitue pas un élément de l'ordre public susceptible de fonder une mesure de police. 

Sur ce point, l'arrêt du 24 septembre 2012 ressemble étrangement à celui du 26 octobre 2011, rendu à propos des antennes-relais de téléphonie mobile, dont certains élus refusaient l'installation sur le territoire de leur commune, en invoquant le principe de précaution. Après plusieurs décisions de combat des juges du fond, le Conseil d'Etat a brutalement mis fin à ces initiatives municipales, en estimant que l'implantation des antennes relais relèvent des autorités de l'Etat et non pas des collectivités territoriales.

En dépit de sa valeur constitutionnelle, le principe de précaution ne parvient pas à pénétrer durablement dans la jurisprudence, comme si le juge refusait de se l'approprier. Les raisons de cette réticences doivent sans doute être recherchés dans l'imprécision d'une notion intégrée dans la Constitution en février 2005 par le vecteur de la Charte de l'environnement. Depuis cette date, on n'en finit pas de se demander quel est le contenu du principe de précaution, et quel est son champ d'application. Dès lors que personne ne sait répondre à ces questions, le juge préfère sans doute oublier le principe de précaution et s'appuyer sur des fondements juridiques plus stables. 



2 commentaires:

  1. On ne peut pas interdire les OGM sous prétexte que quelques excités sont susceptibles de causer des troubles. Avec un tel raisonnement nous n'aurions pas le plaisir de manger des pommes de terre...Un produit d'ailleurs peut être très facilement rejeté mais plus difficilement déclaré inoffensif.

    A l'origine, la pomme de terre a été interdite de culture par un arrêt du Parlement de Besançon au motif qu'elle était sans intérêt et toxique. Il fallut l'appui du Roi pour que Parmentier puisse faire garder ses champs par des militaires.

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  2. Le maire aurait pû s'appuyer sur le risque pour la salubrité publique, composante indiscutable de l'OP. Analogie avec la police de l'eau par exemple.

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