« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 4 décembre 2012

Comment définir un syndicat ?

La décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 15 novembre 2012 vient rappeler le contenu étroit que le droit positif attribue à la notion de syndicat. La CGT est à l'origine du recours, demandant l'annulation de la candidature du "Syndicat anti-précarité"(SAP) à une consultation organisée dans le but de mesurer l'audience syndicale dans les très petites entreprises (TPE). Il s'agit en fait d'élections régionales, dans lesquelles les salariés des entreprises de moins de onze salariés désignent les syndicats susceptibles de négocier en leur nom des accords collectifs de travail. Les candidats ne sont donc pas des individus mais uniquement des organisations syndicales.

Dans l'affaire soumise à la Cour de cassation, la CGT a obtenu du tribunal de grande instance, puis de la Cour d'appel de Paris, l'annulation de la candidature du Syndicat anti précarité, et c'est ce dernier qui fait un recours devant la Chambre sociale de la Cour de cassation. Le débat porte sur la notion même de syndicat, qui figure dans l'article L 2131-1 du code du travail. Aux termes de ce texte, les syndicats professionnels "ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts". De cette formulation, la Cour de cassation déduit que le SAP ne répond pas à cette définition du syndicat. 

Un syndicat ou une entreprise de conseil juridique ?

Le SAP présente en effet quelques particularités très visibles à la lecture de ses statuts. D'une part, il annonce lui même privilégier l'action juridique et se donner pour mission essentielle de protéger ses adhérents devant les tribunaux. A cette fin, est constitué en son sein un service capable "de rivaliser avec les meilleurs services juridiques patronaux ou les cabinets d'avocats". D'autre part, il reconnaît dans ses statuts que ses ressources ne proviennent pas exclusivement des cotisations de ses membres, mais aussi des "participations financières" demandées aux adhérents et aux non adhérents pour l'étude et le suivi de leur dossier juridique. Autrement dit, le SAP joue un rôle de conseil juridique qui s'adresse à tous, et il perçoit des honoraires à ce titre. 

Le premier point pourrait être discuté. S'il est vrai que le SAP déclare privilégier l'action juridique, et plus particulièrement les recours individuels, la modification de ses statuts, intervenue en janvier 2012, affirme aussi sa volonté de "présenter des candidats aux élections professionnelle et prud'homales, de défendre les conventions collectives (...)", tâches qui sont celles d'un syndicat ordinaire. Mais c'est sans doute le second point qui emporte la conviction de la Chambre sociale. La modification de janvier 2012 ne remet pas en cause les ressources du groupement, et notamment ces participations financières qui peuvent être demandées à tous. Considéré sous cet angle, le SAP se présente comme une organisation qui se positionne sur le marché du conseil juridique, qui se donne pour mission de défendre ses clients, quels qu'ils soient, adhérents ou non.

Personnel d'une très petite entreprise. La boulangerie du 40 Lepic, vers 1900


La défense des adhérents

En refusant au SAP de se présenter aux élections professionnelles ouvertes aux salariés des TPE, la Cour de cassation affirme une nouvelle fois que le syndicat se définit par le caractère exclusif de son objet, limité à la défense de ses adhérents. 

Dans un arrêt du 10 avril 1998, la Chambre mixte de la Cour de cassation avait déjà admis une demande de dissolution formulée par une organisation concurrente contre un syndicat de policiers, présenté comme "l'instrument d'un parti politique". Dans cette affaire dite du Front National de la police, la Cour de cassation a cependant fait observer qu'aucune règle juridique n'interdit à un syndicat de poursuivre certains buts professionnels, par référence au programme d'un parti politique. En revanche, le fait de prôner "des distinctions fondées sur la race, la couleur, l'ascendance, l'origine nationale ou ethnique", s'analyse comme une violation du principe de non-discrimination et constitue donc un but illicite, qui justifie la demande de dissolution. 

Le juge a ainsi pour mission de contrôler l'exercice loyal du droit syndical, et la conformité des statuts de l'organisation à l'ordre public. On souhaiterait que le juge soit un jour saisi du système de "Closed Shop" qui existe au Syndicat du Livre ou à celui des dockers. Dans ces deux cas en effet, le pluralisme syndical n'existe pas, et l'embauche est conditionnée par l'appartenance au syndicat unique, lui même adhérent à la CGT. Mais il ne fait aucun doute que la CGT, si vertueuse lorsqu'il s'agit de protéger les salariés des TPE, va certainement annoncer qu'elle renonce à ce monopole syndical d'un autre âge.


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