« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 14 juin 2013

QPC : mandat d'arrêt européen, la fin de l'histoire

Le Conseil constitutionnel a rendu le 14 juin 2013 sa décision Jeremy F. sur la conformité à la constitution des dispositions de l'alinea 4 de l'article 695-46 du code de procédure pénale (cpp). On se souvient que Jeremy F., professeur de mathématique, avait été arrêté sur le territoire français alors qu'il fuyait le Royaume Uni avec l'une de ses élèves, âgée de quinze ans. Remis aux autorités britanniques sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen pour détournement de mineure, ce mandat avait ensuite été étendu à l'infraction, beaucoup plus grave, d'atteintes sexuelles. Conformément au droit européen, cette extension de l'objet du mandat d'arrêt doit être autorisée par l'Etat de remise, c'est à dire, dans le cas présent, par la France. L'article 695-46-4 cpp prévoit que cette autorisation est donnée par la Chambre de l'instruction, sans possibilité de recours. 

C'est précisément cette absence de recours que sanctionne le Conseil constitutionnel. Il considère que l'impossibilité de former un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la chambre de l'instruction "apporte une restriction injustifiée au droit à exercer un recours juridictionnel effectif". Les mots "sans recours" figurant dans l'alinéa 4 de l'article 695-46-4 cpp sont en conséquence immédiatement abrogés. 

Du droit d'accès au juge au droit au recours

Sur le fond, la décision n'est pas surprenante, car la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'a cessé d'accroître ses exigences en matière de "droit au juge". Dans une première décision remontant au 2 décembre 1980, il s'était borné à mentionner un "droit d'ester en justice" rattaché au domaine de la loi. Puis, il avait présenté, dans une décision du 28 juillet 1989, le droit au juge comme "la garantie effective des droits des intéressés", avant de le rattacher finalement à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans une décision du 9 avril 1996. 

Depuis cette date, la jurisprudence a opéré une sorte de glissement, le droit d'accès au juge devenant insensiblement un droit au recours. Sur ce point, le juge constitutionnel s'accorde parfaitement avec le droit européen. L'article 2 § 1 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, adopté en 1984, proclame l'existence d'un véritable droit au recours : "Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation". On observe cependant que ce droit au recours n'est pas un droit absolu. Le droit européen admet que le droit de l'Etat membre peut y déroger pour les infractions mineures, ou lorsque l'intéressé a été jugé par la plus haute juridiction, ou encore condamné à la suite d'un recours contre son acquittement. Quant au juge constitutionnel, il reconnaît, dans sa décision du 13 juillet 2011, qu'il est possible de limiter le droit d'appel, si l'intéressé dispose d'autres moyens de contester utilement la décision qui le frappe. 

En l'espèce, la décision se situe, sur ce point, dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure. Jeremy F. est poursuivi devant le juge pénal pour une infraction qui est loin d'être mineure, et il n'est pas jugé par la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire. 

Noce Blanche. Jean-Claude Brisseau. 1989. Bruno Cremer et Vanessa Paradis

La première question préjudicielle

Si le fond de la décision n'a rien de surprenant, son caractère inédit réside dans l'utilisation par le Conseil constitutionnel de la question préjudicielle. Il a en effet demandé à la Cour de justice de l'Union européenne de lui donner l'interprétation authentique de l'article 27 de la décision-cadre du 13 juin 2002 qui impose à l'Etat requis de statuer dans un délai de 30 ajours après la demande d'extension du mandat d'arrêt européen. La Cour a répondu, le 30 mai 2013, que cette condition de délai n'interdit pas aux Etats d'organiser un recours, si leur système juridique l'autorise ou l'impose.

Le Conseil constitutionnel estime donc logiquement que Jeremy F. et, derrière lui, toutes les personnes victimes d'une extension du mandat d'arrêt européen les concernant, doivent pouvoir former un pourvoi en cassation contre la décision de la chambre de l'instruction. Il n'en demeure pas moins que ce recours reste enfermé dans un délai extrêmement bref. On imagine mal comment, concrètement, la Chambre de l'instruction, puis la Cour de cassation pourront se prononcer successivement dans l'espace de trente jours. Il est donc probable que cette décision provoquera une modification législative de l'article 695-46-4 cpp. 

Pour le moment, Jeremy F. n'obtient qu'une satisfaction morale. Son procès s'est ouvert, en effet, le 10 juin 2013, devant le tribunal de Lewes, dans le sud de l'Angleterre. Les autorités britanniques n'ont pas voulu attendre la publication de la décision du Conseil constitutionnel, intervenue quatre jours après. Autant dire que les règles gouvernant le mandat d'arrêt européen dans l'Etat requis ont bien peu de valeur pour l'Etat requérant dès lors que la personne poursuivie est de retour sur son territoire, surtout lorsque c'est le territoire britannique. A l'inverse, lorsqu'il s'agit de demander aux mêmes autorités britanniques l'extradition de Rachid Ramda, poursuivi pour avoir participé aux attentats du RER parisien en 1995, le droit britannique se montre beaucoup plus attaché au droit de recours et fait attendre l'Etat demandeur, en l'espèce la France,  une bonne dizaine d'années.

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