« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 22 février 2014

Le droit du stagiaire de ne pas être exploité et le stress du patronat

La proposition de loi déposée par Bruno Le Roux (PS, Seine St Denis),  Chaynesse Khirouni (PS Meurthe et Moselle), et plusieurs de leurs collègues "tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires" arrive en discussion à l'Assemblée nationale. Déjà,  M. Pierre Gattaz, Président du Medef, a demandé un moratoire sur ce texte qui crée du "stress sur le dos des patrons". 

Le stress est pourtant souvent celui du stagiaire, dont le sort n'est pas toujours enviable, entre celui qui devient expert de la machine à café, le préposé à la photocopieuse, ou celui qui fait le travail d'un cadre supérieur contre une rémunération symbolique, voire inexistante. Cette situation ne peut plus être considérée comme acceptable, d'autant qu'elle n'a désormais plus rien d'exceptionnel. Alors que le nombre annuel de stagiaires était de 600 000 en 2006, il est aujourd'hui de 1 600 000. Le stage est devenu un élément essentiel dans l'organisation des études et dans la recherche d'emploi. On évalue ainsi à 20 % le nombre de jeunes diplômés qui trouvent leur premier emploi à l'issue d'un stage.

La présente proposition de loi a donc pour finalité de définir un cadre juridique à l'emploi des stagiaires, sans pour autant qu'une réglementation trop tatillonne dissuade les entreprises de les accueillir. L'équilibre entre ces deux impératifs est évidemment bien difficile à trouver.

Un empilement de normes


La proposition vient après une série de textes qui ont soumis les stages à une sorte d'empilement de normes, définissant un certain nombre de règles censées être protectrices, mais finalement assez peu contraignantes. 

Le premier texte en ce domaine est la loi du 31 mars 2006 sur l'égalité des chances, produit de l'échec du "contrat première embauche" (CPE). Elle imposé une convention de stage, et supprimé les cotisations patronales, dans le but, disait-on, de mieux indemniser les stagiaires. Comme toujours, les entreprises ont volontiers accepté le cadeau, mais ce n'est pas pour autant que les stagiaires ont été convenablement rémunérés. En effet, la loi du 25 novembre 2009 sur la formation professionnelle tout au long de la vie prévoit une "gratification" à l'issue des deux premiers mois de stage. Cette gratification est fixée à 12,5 % du plafond horaire de la sécurité sociale, soit... 2, 80 € de l'heure. Immédiatement, les stages de deux mois sont devenus la norme, puisque la gratification, même modeste, n'était due qu'à compter du troisième mois de stage. La loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche accroît un peu la gratification, en précisant qu'un stagiaire doit recevoir au minimum 436, 12 € par mois, mais toujours à partir du troisième mois. 

Ce texte de 2013 est le premier à se préoccuper de la définition du stage, présenté comme "une période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l'étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en oeuvre les acquis de sa formation en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'une certification".  La proposition de loi reprend l'idée que les stages sont des "outils au service de la formation" (art. 1). Sont donc concernés par la loi les stages intégrés dans une formation diplômante assurée dans les établissements d'enseignement secondaire ou supérieur.

Dessin de Voutch

Unification du régime


La première préoccupation de la proposition de loi Le Roux est de simplifier un régime juridique devenu trop complexe. Les règles posées concernent donc tous les stages, ceux organisés dans les formations dispensées par les établissements universitaires comme par les grandes écoles, ceux qui se déroulent dans les entreprises comme dans les services publics. Tous doivent désormais s'intégrer dans une démarche pédagogique clairement explicitée.

Elle se traduit par un approfondissement du contenu de la convention de stage, qui doit désormais préciser les compétences que le stagiaire doit acquérir ou développer à cette occasion. Un enseignant référent est désigné dans l'établissement (ce qui était déjà le cas), et un tuteur doit suivre le stagiaire dans le service ou l'entreprise qui l'accueille. Disons le franchement, ce type de disposition a quelque chose de cosmétique, et on imagine déjà les formulations stérétotypées, les universitaires contraints de suivre un trop grand nombre de stagiaires, et les tuteurs qui n'ont pas beaucoup de temps à consacrer à son encadrement. Quelles seront alors les sanctions si l'étudiant n'est pas suffisamment suivi ou si ses missions n'ont aucun intérêt au regard de sa formation ? La loi ne prévoit rien dans ce domaine.

Plus intéressantes sont les dispositions soumettant les stagiaires au droit du travail, et sur ce plan, la proposition de loi offre de nouvelles garanties. Ils pourront désormais bénéficier de temps de congé, précisés dans la convention de stage. D'une manière générale, les stagiaires sont désormais titulaires des droit fondamentaux ouverts aux salariés, contrôlés par l'inspection du travail, dans les conditions du droit commun.

Lutter contre le recours excessif aux stagiaires


Les résistances à cette loi, et notamment celles exprimées par le Medef, trouvent leur origine dans la seconde finalité du texte. Car il ne s'agit pas seulement de protéger les stagiaires, mais aussi d'éviter que les stages soient utilisés par les entreprises en substitution à la création d'emplois permanents. Dans certains secteurs comme l'audit, la finance ou le droit, la tentation est grande de recruter des stagiaires en fin d'études pour effectuer des tâches habituellement dévolues à des personnels d'encadrement à qualification élevée et à salaire confortable. De manière un peu solennelle, la proposition rappelle que "les stages ne peuvent avoir pour objet l'exécution d'une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent de l'entreprise (...)" ou de l'administration, ou "de tout autre organisme d'accueil". Certes, se pose de nouveau la question du respect de cette disposition, mais on peut penser que les syndicats ne manqueront pas de dénoncer les manquements à cette règle.

Pour assurer l'effectivité de ce principe, la proposition de loi reprend la limitation à six mois de la durée des stages, qui existait d'ailleurs déjà dans la loi du 22 juillet 2013 mais qui était assortie de nombreuses dérogations. Ces dérogations devraient, selon le législateur, disparaître dans un délai de deux ans.

Dans le même but, le nombre de stagiaires ne devrait pas dépasser 10 % de l'effectif global de l'entreprise ou de l'institution d'accueil. Reste que cette restriction donnera sans doute lieu à un robuste débat, et il est possible que les PME réussissent à obtenir un plafond plus élevé. Quoi qu'il en soit, il est bien difficile de déterminer l'impact de cette règle nouvelle. Permettra-t-elle d'accroître les offres d'emploi ? On peut en douter, si l'on considère que le Medef est vent debout contre le texte et qu'il n'est certainement pas décidé à travailler au succès du dispositif.

La violence de la réaction de M. Gattaz apparaît pourtant un peu surprenante. Il faut le reconnaître en effet, la proposition de loi prend en considération l'intérêt de l'entreprise. C'est ainsi qu'il se refuse à prévoir une gratification du stagiaire dès le premier mois de travail, et quelle que soit la durée du stage. Cette gratification "dès le premier mois", n'est due que si le stage est égal ou supérieur à trois mois. Autrement dit, il suffit à l'entreprise de limiter l'offre de stages à deux mois pour continuer joyeusement l'exploitation des jeunes diplômés. Quant au montant de la gratification due à partir du troisième mois, il n'est pas augmenté, sans doute pour les mêmes motifs. Le stagiaire demeure donc un employé sous payé, alors même qu'il est le plus souvent en fin d'études, c'est à dire doté de compétences utiles à l'entreprise ou au service qui l'emploie, et à la richesse de laquelle il contribue largement.

La proposition améliore un peu la situation des stagiaires, par une politique de petits pas destinée à lutter contre les abus les plus criants. Il ne s'agit pas d'établir un réel "statut" du stagiaire, ni de lui accorder un droit de ne pas être exploité. L'objet est surtout de rechercher un équilibre entre les intérêts des jeunes étudiants et ceux d'entreprises qui sont prêtes à tarir l'offre de stages si le texte ne leur convient pas.

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