« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 22 février 2018

GPA : Premières décisions de la Cour de réexamen des décisions civiles

Il n'est pas surprenant que les deux premières décisions rendues par la Cour de réexamen des décisions civiles le 16 février 2018 ordonnent à la Cour de cassation de réexaminer deux pourvois formés dans des affaires de transcription à l'état civil français d'actes de naissance établis à l'étranger à l'issue d'une gestation pour autrui (GPA).

La loi du 18 novembre 2016


Cette procédure de réexamen est issue de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Un nouvel article L 452-1 du code de l'organisation judiciaire permet à un requérant débouté par la Cour de cassation de revenir devant elle si un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré la décision non conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ce retour n'a rien de systématique, car les dommages infligés au requérant doivent dépasser ceux qui sont susceptibles d'être réparés par la satisfaction équitable, c'est-à-dire financière, accordée par la CEDH. Il faut donc que des droits liés à l'état des personnes aient été lésés de telle manière que la simple indemnisation financière ne suffit pas à les réparer. Le réexamen est, par ailleurs, enfermé dans une condition de délai, puisque la Cour de réexamen doit être saisie dans le délai d'un an après l'arrêt de la CEDH.

Certes, le législateur a pris soin de ne pas trop brutaliser la Cour de cassation. La Cour de réexamen est composée exclusivement de treize de ses membres et son seul pouvoir consiste à renvoyer l'affaire devant la Chambre compétente ou l'assemblée plénière. Mais ces nouvelles dispositions ont tout de même pour objet, si ce n'est d'imposer, à tout le moins de faciliter le respect par la plus haute juridiction judiciaire de la jurisprudence de la CEDH. Il n'y avait pas d'autre solution que de passer par la voie législative, dès lors que la Cour de cassation, dans un arrêt de sa chambre sociale du 30 septembre 2005, avait refusé d'étendre au domaine civil la procédure de réexamen existante en matière pénale depuis la loi du 15 juin 2000.

Le libéralisme contraint de la Cour de cassation


Derrières cette finalité générale se cache, comme souvent, une préoccupation plus immédiate. Il s'agit  de contraindre la Cour à accepter la transcription à l'état civil français des enfants nés à l'étranger d'une GPA. L'amendement gouvernement à l'origine de cette disposition avait d'ailleurs été baptisé "amendement Mennesson". Il faisait directement référence à deux arrêts du 26 juin 2014 par lesquels la CEDH affirme que l'intérêt supérieur d'un enfant né à l'étranger d'une GPA exige qu'il ait un état civil français, élément de son identité au sein de notre société. Cette décision allait à l'encontre d'une jurisprudence de la Cour de cassation, réaffirmée jusqu'en 2013, qui refusait la transcription en France des actes de naissance de ces enfants. Issus d'une convention illégale en droit français, ces enfants étaient condamnés par une sorte de péché originel juridique et se voyaient refuser le droit d'avoir une identité familiale identique à celle des autres enfants.

Certes, après les arrêts Mennesson et Labassee, la Cour de cassation a finalement admis, dans deux décisions du 3 juillet 2015, qu'une convention de GPA ne pouvait faire obstacle à la transcription sur les registres d'état civil français d'actes de naissance rédigés à l'étranger. Elle a même accepté, en juillet 2017, le principe d'une adoption par le "parent d'intention", dès lors que la mère porteuse a donné son consentement à une telle procédure. Cette série de revirements s'est réalisée sous la pression de la CEDH, et il ne fait guère de doute que la Cour de cassation ne s'est soumise qu'avec réticence à cette mise en oeuvre de la notion d'intérêt supérieur de l'enfant.

Agar et l'Ange. Jean Restout. 1745



Pour autant, la procédure de réexamen est loin d'être inutile. Elle permet aux requérants d'obtenir que soient tirées toutes les conséquences de la jurisprudence de la CEDH. L'affaire ayant donné lieu au premier arrêt du 16 février 2018 est précisément l'affaire Mennesson. Certes, ce couple a obtenu, en 2014, de la CEDH un arrêt mentionnant que le refus d'accorder un état civil français à leurs jumeaux nés en Californie portait atteinte à l'intérêt supérieur de ces enfants. Mais ils demandent aujourd'hui, au-delà d'une simple indemnisation financière, qu'il soit mis fin à toutes les conséquences dommageables de cette situation. Dans l'affaire ayant suscité le second arrêt, il s'agit également de jumeaux, cette fois nés à Mumbay. Les requérants ont également été déboutés par la Cour de cassation avant l'arrêt Mennesson, le 13 septembre 2013. Le 21 juillet 2016, la CEDH a conclu à une violation de l'article 8 de la Convention qui garantit le droit au respect à la vie privée et familiale. Dans les deux cas, les affaires sont renvoyées à l'Assemblée plénière. La Cour de réexamen estime en effet que "par leur nature et leur gravité, les violations constatées entraînent pour les enfants des conséquences dommageables, auxquelles la satisfaction équitable accordée par la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas mis un terme".

La procédure répond, de toute évidence, à une préoccupation d'équité. Il n'était guère satisfaisant que des enfants soient condamnés, durant toute leur vie, à ne pas avoir d'état civil français, pour la seule raison que le contentieux lié à ce refus est antérieur de quelques mois ou quelques années à l'arrêt Mennesson. Il n'était pas plus satisfaisant qu'ils ne puissent obtenir autre chose qu'une indemnisation financière.

Au regard de la Cour de cassation, l'analyse est plus délicate. Est-elle condamnée à manger son chapeau, ou plutôt sa toque, comme le pensent certains commentateurs ? Peut-être pas, car la procédure de réexamen, placée sous son contrôle, lui offre aussi la possibilité de reprendre à son compte la jurisprudence européenne, de se l'approprier et d'en envisager les suites.

Il ne fait aucun doute cependant que le législateur a entendu mettre en place une sorte d'assurance jouant à double sens. D'une part, la procédure de réexamen garantit une meilleure exécution des futures décisions de la CEDH, en particulier s'il lui venait à l'idée de déclarer conforme à la Convention l'usage de la GPA par les couples homosexuels. D'autre part, la procédure peut aussi être utile dans l'hypothèse où le parlement français voterait une loi revenant sur certains acquis en matière de droits des personnes. Rappelons en effet qu'en novembre 2016, au moment où cette procédure de réexamen est votée, le candidat de la droite aux présidentielles a d'excellents sondages, et bénéficie du soutien de Sens Commun... Considérée sous cet angle, la procédure de réexamen permet de placer ces réformes de société directement sous la protection de la CEDH et ce n'est pas un acquis négligeable.

Sur la GPA : Chapitre 7, section 2 § 3 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.






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