« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 28 février 2018

Rapport Clavreul : une pierre dans le jardin de l'Observatoire de la laïcité

Le 22 février 2018, le rapport "Laïcité, valeurs de la République et exigences minimum de la vie en société" a été rendu public. Son contenu a été peu commenté et les observateurs ont surtout remarqué la réaction presque épidermique du Président de l'Observatoire de la laïcité. Jean-Louis Bianco s'est en effet empressé de diffuser sur les réseaux sociaux un communiqué dans lequel il regrette "le manque de rigueur méthodologique" du rapport ainsi que "la méconnaissance d'actions déjà mises en oeuvre" par les pouvoirs publics. Le ton n'est pas tout à fait celui en usage dans la haute fonction publique et l'animosité n'est pas réellement cachée.

Observatoire v. Dilcrah


Pourquoi tant de haine ? On pourrait évidemment invoquer une opposition de nature politique. Manuel Valls, lorsqu'il était premier ministre, s'était vivement opposé à la conception de la laïcité développée par l'Observatoire, conception d'une laïcité inclusive prônant un apaisement bien proche des accommodements raisonnables existant dans le monde anglo-saxon. Aux yeux du Premier ministre de l'époque, l'importance des revendications religieuses identitaires interdisait toute approche inclusive et justifiait au contraire un renforcement du principe de neutralité. 

N'ayant pu obtenir la démission de Jean-Louis Bianco, Manuel Valls avait ouvert un contre-feu en créant une Direction interministérielle de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et l'homophobie (Dilcrah), confiée précisément au préfet Gilles Clavreul en novembre 2014. Depuis l'élection d'Emmanuel Macron, Gilles Clavreul, membre du Printemps Républicain et jugé trop proche de l'ancien premier ministre, n'est plus à la tête de la Dilcrah, désormais dirigée par le préfet Frédéric Potier. 

C'est tout de même à lui que le ministre de l'intérieur a confié, en septembre 2017, la mission de réflexion sur "le suivi par les administrations et les collectivités locales des problématiques qui ont trait à la laïcité et au respect des valeurs de la République, de l'ordre public et des exigences minimales de la vie en société". Cette formulation pour le moins alambiquée est celle utilisée par l'Observatoire de la laïcité lui-même, dans un avis du 16 mai 2017. Le préfet Clavreul a donc été chargé de réfléchir sur les suites de cet avis, et on peut comprendre que le Président de l'Observatoire n'ait pas apprécié d'être ainsi dessaisi par le ministre de l'intérieur. Observons cependant que ce choix n'a rien de surprenant si l'on considère que la mission dévolue à Gilles Clavreul dépasse le champ du principe de laïcité stricto sensu. Il s'agit en effet d'inscrire la laïcité dans un espace plus vaste, de la considérer comme le noyau dur d'une promotion de la citoyenneté et des valeurs de la République. 

"Difficulté à produire du consensus"


Le rapport Clavreul constate, et les réactions à sa publication suffiraient à la démontrer, une certaine "difficulté à produire du consensus" en matière de laïcité. Il ne cherche pas l'affrontement avec l'Observatoire de la laïcité et affirme au contraire se situer dans la continuité de ses travaux et de son avis de 2017. Mais ces précautions ne parviennent pas à masquer une opposition de fond.


Le mécréant. Georges Brassens

La Charte de la laïcité


En témoigne d'abord la proposition de conditionner le soutien de l'Etat (subvention, agrément, aide accordée pour un évènement ponctuel) à la signature d'une charte par laquelle le cocontractant s'engage à respecter et promouvoir les valeurs de la République, et en particulier la laïcité. 

L'idée de Charte de la laïcité n'est pas nouvelle. Une première Charte avait ainsi été diffusée en septembre 2013 dans les établissements scolaires par le ministre de l'époque, Vincent Peillon. Elle n'avait qu'une valeur déclaratoire et avait obtenu un soutien inconditionnel de l'Observatoire de la laïcité. Il en est de même de la circulaire du 15 mars 2017 qui se borne à rappeler aux fonctionnaires le devoir de neutralité que la loi leur impose.

En mars 2017, la région Ile-de-France présidée par Valérie Pécresse a voulu aller plus loin avec une "Charte des valeurs de la république et de la laïcité" subordonnant l'aide financière de la région à l'engagement de respecter le principe de neutralité. Ce texte était si mal rédigé qu'il a été nécessaire de le réécrire. Il était en effet inutile d'imposer par la voie contractuelle le respect de la neutralité à des collectivités publiques qui y étaient déjà soumises par la loi. Le champ d'application de la Charte a donc été réduit aux "espaces collectifs privés", notion peu précise qui vise les associations exerçant leur activité au profit du public sans réellement être associées au service public. Ces initiatives sont finalement restées isolées et peu précises.

Le rapport Clavreul propose de reprendre cette idée, non plus au niveau des territoires mais à celui de l'Etat. Il s'appuie sur l'exemple du dispositif mis en oeuvre depuis fin 2015 par les caisses d'allocations familiales (CAF).  La charte des CAF rappelle le principe de neutralité applicable au personnel, y compris à celui relevant du droit privé mais chargé d'une mission de service public. Elle invite les partenaires associatifs à proscrire le "prosélytisme abusif". La formule peut faire sourire tant elle ressemble à un pléonasme, mais le rapport Clavreul mentionne, non sans malice, que cette formule a été élaborée à l'issue d'une concertation entre les CAF et l'Observatoire de la laïcité.

Quoi qu'il en soit, le rapport Clavreul suggère une Charte opposable systématiquement annexée aux conventions attributives de financement. On distinguerait alors, un peu comme dans l'enseignement, les associations signataires de la Charte qui acceptent un financement de l'Etat et doivent respecter le principe de laïcité, et celles qui, refusant d'adhérer à ce principe, renoncent à un financement de l'Etat. L'avantage du système est de s'assurer que la loi de 1905 est appliquée et que l'argent public n'est pas utilisé pour subventionner des groupements pratiquant le prosélytisme religieux.


Une doctrine de laïcité



D'une manière plus générale, le rapport Clavreul met en lumière l'absence de doctrine claire en matière de laïcité. C'est évidemment une nouvelle pierre dans le jardin de l'Observatoire, créé en octobre 2007 et qui, en onze années d'existence, intervient surtout de manière réactive, lorsque surgit un débat sur les prières de rue, les menus de la cantine ou tout autre sujet. Il cherche alors, a posteriori, à recréer un consensus, au moyen d'interprétations du droit positif de plus en plus souples, interprétations qui conduisent à une dilution de la notion même de laïcité.

Le rapport distingue deux discours de contestation du principe de laïcité. Le premier conteste une laïcité "radicale" ou "fermée" mais n'est pas hostile au respect d'une certaine neutralité. Le second réside dans une attaque frontale, généralement le fruit d'un certain radicalisme religieux, quelle que soit la religion en cause.  L'enquête menée sur le terrain révèle les hésitations des acteurs locaux confrontés à ces deux discours. La laïcité "ouverte" prônée par l'Observatoire de la laïcité n'est pas une réponse facile à mettre en oeuvre sans renoncement au principe même de laïcité. Quant à l'attaque frontale, elle n'est pas réellement prévue par les politiques publiques. Le rapport Clavreul cite ainsi de nombreux cas de professeurs confrontés à des élèves qui estiment que le principe de laïcité est une agression contre leur religion, ou de travailleurs sociaux qui finissent par renoncer à travailler sur certains marchés ou dans certaines cités. Ils sont tout aussi démunis devant une résistance passive qui se développe considérablement. Le rapport fait ainsi état d'un nombre considérable d'allergies au chlore chez les jeunes filles qui, de fait, ne peuvent se rendre à la piscine, situation d'autant plus préoccupante que la piscine utilisée par leur établissement scolaire n'est pas assainie au chlore...

Face à de telles situations, les acteurs sont à la recherche de la conduite à tenir. Or aucun diagnostic sérieux n'a été réalisé et aucune remontée des incidents n'est prévue. Ils se retrouvent seuls pour gérer des situations délicates. S'ils demandent le respect du principe de laïcité, ils redoutent d'être suspectés de discrimination, voire d'être dénoncés comme racistes, anti-sémites, ou pire, soupçonnés d'être membre de la désormais célèbre "fachosphère". Dans une telle situation, la tentation est grande de pratiquer une stratégie d'évitement qui consiste à ne rien faire, en attendant une doctrine claire. Le rapport demande la rédaction de cette doctrine, ainsi qu'un pilotage des problèmes au plus près possible du terrain.

Raidissement identitaire et droits des femmes


Les études de terrain constituent peut-être le point le plus intéressant du rapport Clavreul. Certes, on pourrait discuter le choix des lieux choisis, ou leur nombre. Le président de l'Observatoire de la laïcité n'a pas manqué de critiquer un travail qui mentionne des "dizaines de témoignages" dans "neuf départements". Il n'empêche que son auteur a au moins su rencontrer et écouter ceux qui sont confrontés à ces problèmes dans leur vie quotidienne.

Sur ce point, le rapport n'hésite pas à aborder un sujet qui fâche, celui du "raidissement identitaire" et de la citoyenneté. Il montre que la plupart des difficultés ne surgissent pas directement sur le terrain de la laïcité, mais à partir d'autres sujets, et notamment le principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Qu'il s'agisse du refus de saluer les femmes, ou des propos de garçons de huit ou neuf ans qui, dans l'agglomération lilloise, répondent à leur institutrice "tu es une femme, tu n'as rien à me dire", ces attitudes choquent. Elles témoignent d'une revendication identitaire, d'une volonté de se placer à l'écart des droits et libertés garantis par notre système juridique.  Le rapport Clavreul a ainsi l'immense mérite d'envisager la laïcité comme une politique à mettre en oeuvre, en imposant une éducation à la citoyenneté et le respect d'un certain nombre de règles indispensables à la vie en société. Serait-ce cette vision pragmatique qui irrite l'Observatoire de la laïcité, plus habitué aux discours dogmatiques sur le pluralisme religieux qu'à la recherche de solutions concrètes ? Peut-être, mais il faut parfois que les choses soient dites, et il faut reconnaitre que l'un des mérites, et non le moindre, du rapport Clavreul est d'avoir su éviter la langue de bois.

Sur le principe de laïcité : Chapitre 10 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.



1 commentaire:

  1. Gnouf ! Je Me porte bien.

    Didonque, Meuf, chère Petite chose, ton post a ouvert une paupière de l’Elan. Faut dire que le prétendu « Observatoire de la laïcité » gave. Ce qui est choquant dans l’avis, c’est la référence au multiculturalisme. Y a-t-il donc en France une autre culture que celle des valeurs républicaines, dont la laïcité ? Le multiculturalisme ouvre la porte au communautarisme, le communautarisme à la discrimination et à l’apartheid. Il est donc un accommodement déraisonnable. Les Tartufes qui attaquent la laïcité en faisant croire qu'ils la défendent feraient bien d’y réfléchir !

    Uhuhuhuhuhu…u.

    LNE

    RépondreSupprimer