« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 4 mai 2012

QPC : le harcèlement sexuel à la recherche d'une définition


Par une décision du 4 mai 2012, Gérard D., rendue sur QPC, le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution l'article 222-33 du code pénal. Dans une rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002, il définit le harcèlement sexuel comme "le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle"

Une définition tautologique

Le droit ne donne pas vraiment de définition des "faveurs de nature sexuelle". Tout au plus peut-on observer que l'article sanctionné figure dans une section du code pénal consacrée aux "agressions sexuelles", notion qui englobe "toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace et surprise" (art. 222-22 c. pén.). Mais une "faveur" sexuelle ne devient une "agression" que si elle peut être qualifiée de "harcèlement". Et l'article 222-23 définit le "harcèlement" comme "le fait de harceler autrui". Le juge se trouve ainsi confronté à une définition purement tautologique. 

Cette incertitude trouve son origine dans l'intervention du législateur du 2002 qui, pour reprendre l'heureuse formule de l'avocat du requérant, a "déshabillé" le texte. 

Un texte "déshabillé"

Dans la définition du harcèlement tout d'abord, la loi du 22 juillet 1992 modifiée en 1998 précisait qu'il s'exerçait "en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves". Le juge pénal pouvait ensuite donner un contenu précis à cette qualification. Dans le rapport entre le harceleur et sa victime ensuite, le texte initial imposait une relation d'autorité du premier sur la seconde. Le harceleur était ainsi défini comme "une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions". 

Enfin, contrairement au harcèlement moral, on observe que le critère des conséquences de l'acte sur la victime n'a jamais été mis en oeuvre pour le harcèlement sexuel. Le harcèlement moral a "pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". Les conséquences d'un harcèlement sexuel sur une victime ne sont pas du tout évoquées par le législateur. 

Cette imprécision délibérée repose sur quelques bons motifs  On y voit d'abord la volonté de rendre possibles les poursuites pour harcèlement, alors même qu'il n'y a aucun rapport hiérarchique entre harceleur et harcelé. Une telle pratique peut, en effet, exister dans toute relation humaine, quelle que soit la situation sociale des protagonistes, entre deux personnes de même niveau hiérarchique notamment. Le législateur a aussi voulu, probablement, ne pas clore la liste des pratiques susceptibles d'être considérées comme harcèlement, tant est grande l'imagination en ce domaine. C'est ainsi que la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans une décision du 19 octobre 2011, a qualifié de harcèlement sexuel l'envoi, en dehors des heures de travail, de courriels "tenant des propos à caractère sexuel". Ces évolutions s'appuient certes sur de bons motifs, mais induisent des conséquences fâcheuses, notamment la dilution de la notion même de harcèlement.

Tex Avery. Le Petit Chaperon rouge. 1943

Atteinte au principe de légalité des délits et des peines

La sanction du Conseil constitutionnel n'a rien de surprenant. Souvenons-nous que par deux décisions des  16 septembre 2011 et 17 février 2012,  l'ensemble des dispositions relatives au viol et l'agression sexuelle de nature incestueuse ont été déclarées non conformes au principe de légalité des délits et des peines consacré par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'est alors l'incertitude sur la nature du lien familial permettant d'identifier l'inceste qui était mise en évidence. L'incertitude des notions employées suscite en effet une insécurité juridique que le Conseil ne peut manquer de sanctionner.

Comme dans ces deux décisions, le Conseil prononce une abrogation immédiate. Cette sévérité repose sur une volonté d'empêcher que de nouvelles poursuites soient engagées sur la base d'une incrimination aux contours mal délimités. 

Composition du Conseil

Si la décision ne surprend guère dans le fond, on doit tout de même s'interroger sur un détail de procédure.. En effet, le requérant, M. Gérard D., est un ancien secrétaire d'Etat, qui a précisément fait partie d'un gouvernement auquel appartenait également M. Jacques Barrot, membre du Conseil constitutionnel, nommé en 2010 par le Président de l'Assemblée nationale. Or, M. Barrot ne s'est pas déporté dans l'affaire, et les avocats du requérants n'ont pas cru bon de faire une demande de récusation comme les y autorise l'article 4 du règlement intérieur du 4 février 2010, applicable aux QPC. Son nom figure dans le dispositif de la décision, et on le voit siéger dans la vidéo de l'audience. 

Bien entendu, aucune disposition législative n'obligeait M. Barrot à s'abstenir de siéger. Ce même article 4 énonce d'ailleurs que le fait qu'un membre du Conseil ait participé à l'élaboration de la disposition législative faisant l'objet de la QPC n'est même pas, en soi, une cause de récusation. Alors une solidarité gouvernementale, surtout remontant à plus de trente ans, n'est sans doute pas un élément de nature à mettre en cause la sérénité du délibéré. 

Sur ce point, la décision laisse tout de même un sentiment de malaise. Elle illustre la nécessité d'une véritable réforme de la composition du Conseil constitutionnel. N'est il pas temps de s'interroger sur la nécessité de maintenir en son sein des "membres de droit", anciens Présidents de la République, qui ont participé aux débats politiques entourant le vote des lois dont ils doivent maintenant apprécier la constitutionnalité ? Alors que la QPC fait du Conseil constitutionnel une véritable juridiction, il serait opportun de donner à ses décisions les mêmes garanties d'impartialité que celles qui s'imposent aux autres juridictions. Et il se trouve précisément que les mois qui viennent seront probablement propices aux changements. 



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